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Les mystères de Riverside Gardens

Chapitre 11 : L’étau se resserre.

Pilules, Photo by Michael Carruth on Unsplash

Sue

Ça faisait plus d’une demi heure que Sue restait au volant de sa voiture, moteur éteint. Elle contemplait, l’air interdit,  l’écran de son téléphone. Un deuxième texto était arrivé hier soir. Le même texte “Tu croyais que ton secret serait enterré avec Andrews ?” suivi de “Tu as deux semaines, 20 000 dollars à l’endroit habituel.”. 

Serait-ce le même maître chanteur qu’il y a trois ans ? Impossible, elle avait découvert que c’était Andrews qui la faisait chanter. Andrews était mort, enterré, ça ne pouvait être lui. Ou alors elle s’était trompée depuis le début ? Et si ce n’était pas le même, comment savait-il pour la cachette habituelle ? 

Ce qui était sûr, c’est qu’elle n’avait absolument pas ces 20 000 dollars. Les dernières années, elle avait dû drastiquement réduire ses petites combines, et puis elle avait dû payer les frais médicaux de Pete, qui se blessait tellement souvent que les assurances maladies ne voulaient plus de lui. 

Bon, elle allait se rendre au bureau. Elle démarra la voiture. Il fallait qu’elle trouve une solution, il était absolument hors de question qu’elle paie une telle somme. Son seul salut était de trouver qui était le maître chanteur et de l’arrêter par tous les moyens… Tous les moyens. 

Elle repensa à cette histoire de Bruce qui demande à Franck de détruire un jardin. Cette histoire ne tournait vraiment pas rond. Pouvait-elle faire confiance à Franck ? Le jardinier paraissait comme ça inoffensif, mais il avait tout de même fait de la prison.Lui aurait-il menti ? 

Généralement, il ne supportait pas la pression et face à elle, tel un enfant pris en faute, il avouait tout. Mais cette fois-ci, elle avait des doutes. 

Non, ça ne collait pas. Bruce, jaloux, décidait de mettre en garde un amant potentiel de Rita. Non, ça ne tenait pas debout, Rita n’était pas courtisée. En tout cas, pas qu’elle le sache. Disons que Rita n’était plus un canon de beauté, avec ses dizaines de kilos en trop, et sa peau défraîchie. Non, s’il y en avait une dans le couple qui devait être jalouse, c’était Rita. Bruce n’avait pas été le plus fidèle des hommes ces dernières années… 

Il fallait qu’elle tire tout ça au clair. 

Une fois garée devant le bureau, elle attrapa son téléphone, et appela Franck. Il répondit après trois sonneries, d’une voix faiblarde. Elle ne lui laissa pas le temps de bafouiller et lui somma de se rendre dans son bureau dès son arrivée. Après un “Oui” timide, elle lui raccrocha au nez. 

Il était 6h30, Franck n’arriverait pas avant une quinzaine de minutes. Ça lui laissait le temps de mettre en  place son stratagème pour soutirer la vérité de la bouche du jardinier. Elle ouvrit la porte du bureau, elle éteignit l’alarme et contempla cette nouvelle salle d’interrogatoire. Inspirée par tous les anciens films d’espionnage qu’elle avait visionné avec Pete, elle plaça une chaise de chaque côté de la table et plaça sa lampe de bureau orientée vers l’une d’elle. Il fallait que Franck prenne peur, il fallait qu’il se sente acculé et qu’il avoue tout. 

Peut être que c’était le moment pour elle de jouer la carte de la prison. La plus grande peur de Franck était d’y retourner, il fallait lui faire croire qu’elle avait de quoi l’y renvoyer. 

Elle entendit la porte de la réception s’ouvrir, tiens, Franck était plus en avance qu’elle ne l’aurait pensé. Fixant la poignée, elle se plaça face à la porte pour faire monter la pression en une seconde à son arrivée.

Franck toqua timidement à la porte. Elle lui somma d’entrer sèchement. Les yeux de Franck étaient fuyants. Ils se posèrent sur Sue, puis sur la table et sur la lampe, ses pupilles dansèrent dans leurs orbites. Elle remarqua un frisson parcourir le petit homme, son regard se durcit. D’un pas décidé, elle s’approcha de lui, il paniqua, et d’un mouvement de terreur, jeta ses affaires au sol et se recroquevilla sur lui-même. 

Sur le sol, parmi ses bouteilles de boissons énergétiques, ses clés et son portefeuille, une dizaine de petites pilules roses. Voilà qui était intéressant… 

D’un geste maternel, elle lui caressa le dos. Ses ongles effleuraient tout juste l’étoffe, elle prenait sur elle pour ne pas montrer son sentiment de dégoût. D’une voix plus douce qu’à l’accoutumée, elle le rassura, elle était là pour l’aider. Elle ne lui voulait absolument pas de mal. Tiens, s’il s’asseyait un peu. 

Franck se releva l’air perdu, et se dirigea d’un pas hésitant vers la chaise. Pendant ce temps, Sue ramassa chacune des affaires, et les aligna sur la table. Dans sa main, elle tenait encore les quelques pilules. Le jardinier avait les yeux fixés sur la table, il sentait qu’une crise s’annonçait, son souffle était plus court, il avait peur. Il avança sa main jusqu’à son inhalateur, mais un doigt manucuré au vernis rouge vint se poser dessus et l’éloigner. Il releva la tête l’air inquiet. 

Sue lui sourit un rictus mauvais sur le visage. “Si vous voulez votre inhalateur, il va falloir être un gentil garçon Franck, et me dire d’où viennent…”, elle fit une pause théâtrale. Franck la regardait avec anxiété. Elle posa doucement, une à une les pilules roses fluos. Les yeux de Franck s’arrondirent. “… ces petits “bonbons””. 

Franck bégaya, et commença à se balancer d’avant en arrière, il avait peur. La voix de Sue continuait de le menacer, avec de telles circonstances, il finirait sûrement par retourner en prison. Un homme comme lui ne méritait pas la prison, il méritait d’être heureux, et pour cela, il suffisait juste qu’il lui dise toute la vérité. 

Après plusieurs minutes, Franck commença les aveux. Elle n’avait même pas eu besoin de la lampe. Mince, elle en était presque déçue. Mais le coup de l’inhalateur avait été un coup de génie. 

Les pilules étaient donc fabriquées par Bruce, qui était sûrement en contact avec Andrews. Bruce était peut-être son maître chanteur. Quelque soit la vérité, le vieux moustachu n’était pas complètement innocent à la mort d’Andrews. Elle allait faire de sa vie un enfer. On ne jouait pas avec elle de cette manière. 

Susan

Susan escorta John à la porte, sur le chemin qui séparait la cuisine de l’entrée, il laissa sa main dans le bas du dos de Susan. C’était une sensation douce, chaude et agréable. Elle n’avait pas ressenti ça depuis plus de trois ans. Elle sentait son coeur s’envoler.

Il lui fit un baiser sur le front puis sur les lèvres, et il quitta la maison. 

Elle resta un instant interdite, et s’adossa à la porte, se repassant les images de la veille dans son esprit. 

Il avait attendu un bouquet de fleurs devant sa porte. Quand elle l’avait vu, son cœur avait fait un bond. Elle n’avait pas eu le cœur de le renvoyer, elle lui avait proposé d’entrer. Il l’avait suivie docile dans sa petite maison. 

Après avoir placé le bouquet dans un vase, elle l’avait invité à s’asseoir. Naturellement, elle lui avait proposé un verre. Chacun d’eux avait siroté leur verre de Brandy face à face sur la table de la cuisine. La discussion avait été si naturelle, il n’y avait pas eu de silences gênants, elle avait ri. Oui parfois, les voix se taisaient, mais leurs regards continuaient eux de s’avouer mille et une choses. John avait été attentif, il avait ce sourire insondable et son regard était plus brûlant que jamais. 

La soirée avançait, et elle ne voulait plus le voir partir, alors elle l’avait invité à dîner. Elle s’était excusée, ce ne serait pas un festin digne du prince qu’il était. Ils en avaient ri. Arrivés à bout du dîner improvisé, alors que Susan se rasseyait après avoir posé deux tasses de café fumant sur la table, John se leva. Le cœur de la belle se resserra, elle l’avait ennuyé, il allait partir. Mais John n’était pas parti, il avait fait le tour de la table, et s’était penché sur elle pour l’embrasser. 

Leurs lèvres s’étaient retrouvées, elles s’étaient dévorées. Tout en Susan s’était enflammé de nouveau. 

Il n’avait pas fallu longtemps à leur corps pour se retrouver sous la couette. Pour des septuagénaires, ils avaient une énergie incroyable. Cette fois-là, elle avait été encore plus belle que la première. Susan avait ressenti un plaisir qu’elle n’avait pas ressenti depuis plusieurs années. 

Ce matin, ils s’étaient blottis dans les bras l’un de l’autre et elle s’était sentie en sécurité, bien, en accord avec la vie. Oui, pour la première fois en trois ans, elle s’était sentie moins vide, elle avait senti une envie nouvelle. La vieillesse l’avait quitté, elle se sentait l’âme d’une jeune fille. 

Quand après leur ébat, ils s’étaient allongés dans le lit qu’elle avait tant d’années partager avec Rick, elle s’était senti troublé. La culpabilité l’avait un peu prise de court. Mais John était un homme toujours attentif, il avait ressenti son malaise. Il lui avait proposé de partir si elle le voulait, tout en la prenant dans ses bras. Son étreinte était forte, et son baiser dans le cou finit par convaincre Susan de le laisser dormir ici. 

Rick n’était plus, et il serait sûrement heureux qu’elle passe les dernières années de sa vie avec un homme prêt à l’aimer. 

Ce soir-là, elle s’endormit apaisée, sereine, les voiles du passé se levaient peu à peu, et laissaient place à une lumière toute nouvelle. 

Susan, toujours adossée à la porte, sourit et porta les mains à son cœur. Une lueur nouvelle éclairait son regard. Elle sautilla presque jusqu’à la cuisine. La vaisselle était toujours dans l’évier. Ses mains lavèrent, brossèrent et rincèrent. Mais son esprit, lui, suivait les courbes du corps de John, se remémorait le plaisir, l’excitation. Elle poussa un soupir. 

La vaisselle fut lavée en un rien de temps. Elle releva la tête et aperçut dans la rue la silhouette voûtée de Martha. Ca faisait un moment qu’elle ne l’avait pas croisée. Tiens, elle allait lui proposer un café. La pauvre veuve devait être dévastée à l’heure actuelle. Le souvenir de son propre deuil lui revint à l’esprit, elle n’en fut pas triste. Elle sourit, son deuil était terminé et John n’y était pas étranger. 

D’un geste spontané, elle ouvrit la fenêtre et héla Martha. La vieille dame se retourna, l’air surpris. “Martha, je peux t’offrir un café ?”. L’ombre de Martha se rapprocha, son sourire semblait faux, elle hocha la tête et contourna la maison. Le souvenir de Paula quelques années plus tôt lui revint à l’esprit. Elle chérissait ce moment, ça n’avait pas été une période joyeuse, mais leur amitié avait commencé cette matinée-là. 

Peut-être que Martha aussi pourrait devenir son amie… Elle en doutait, cette femme ne lui avait jamais inspiré aucune sympathie. Andrews était son ami, mais Martha lui avait toujours paru froide, elle s’était toujours demandé ce que le sympathique Andrews faisait avec la vieille sorcière. Elle avait toujours eu le sentiment qu’ils étaient mal assortis, qu’est-ce qui les unissait ? Comment un homme tel que lui avait-il fini avec une femme si froide ? Quelle était leur histoire ? 

Maintenant, elle se sentait curieuse. Peut-être qu’elle découvrirait une nouvelle Martha, et qu’elle comprendrait. On frappa à la porte, elle se sortit de ses songes et partit ouvrir à Martha. 

La femme se tenait devant la porte,elle arborait une toute nouvelle toilette. Sa robe parme était affublée de nombreux volants, rendant la silhouette rabougrie de la veuve encore plus tassée. Martha avait un sourire fier, son caddy aussi était neuf, un imprimé fleuri sur fond noir, quatre roues, elle avait dû y mettre le prix. Susan se rappelait de ce modèle dans le catalogue du mois dernier, il valait plusieurs centaines de dollars. Ça pourrait être un moyen comme un autre de lutter contre le deuil. Mais en si peu de temps, ça semblait tout de même bien étrange. 

Susan n’avait pas touché à l’héritage, elle avait juste gardé de quoi vivre modestement et avait placé le reste pour ses enfants. Alors un comportement dépensier comme celui-là la rendait perplexe. 

Elle fit entrer Martha et lui proposa un thé. La femme hocha la tête et n’attendit pas d’y être invitée pour s’asseoir sur le canapé. Susan posa la tasse de thé, elle avait choisi un sachet au hasard. Oui définitivement, Martha ne deviendrait pas son amie. Elle regretta presque immédiatement son invitation. 

Susan s’assit à son tour sur le canapé et questionna Martha, comment allait-elle ? Martha but une gorgée et sourit. Elle allait bien, elle prévoyait de partir deux semaines à Bali à partir du lendemain. Comment ? Elle avait trouvé un tour organisé pour personnes de plus de soixante ans, un séjour en hôtel cinq étoiles, tout compris. Oh oui, elle allait bien en profiter. 

A l’entendre, Susan pensa qu’on n’aurait jamais pensé que la bossue fût veuve. Comment après moins d’un mois de deuil pouvait-elle être aussi joyeuse ? Elle se rappelait qu’un mois après la mort de Rick, elle était encore dévastée, elle ne dormait pas la nuit, elle n’avait plus que des sanglots sans larme. La vie n’avait plus aucun sens, ses seuls moments de “survie” étaient les verres de vins qu’elle prenait avec Paula, ou les après-midi avec ses petits enfants. C’était seulement au contact de ceux qui étaient assez égoïstes pour ne pas éprouver de pitié, pour rire, qu’elle pouvait quitter le temps de quelques minutes son rôle de veuve. 

Mais Martha, c’était autre chose, c’est comme si la mort d’Andrews ne lui faisait ni chaud ni froid. Même pire, c’est comme si la mort d’Andrews avait été une aubaine pour Martha. Peut être qu’elles avaient mal jugées la situation, peut être que Bruce n’était pas le seul qui avait eu un comportement étrange avant la mort d’Andrews. Et si c’était bien sa femme qui l’avait tué ? 

Il fallait qu’elle mène son enquête. Elle en parlerait à Paula, aussitôt que Martha aurait quitté la maison, elle courait au domicile de la nymphe pour tout lui raconter. 

Soudain, elle eut un éclair de génie. Alors que Martha prenait congé en prétextant devoir faire sa valise, Susan lui proposa spontanément de venir arroser ses plantes pendant son absence. Martha fut surprise de l’attention, mais acquiesça avec enthousiasme. Elle avait justement un double des clés sur elle, elle les tendit à Susan. C’était comme si la veuve s’attendait à une telle proposition. 

Susan attrapa les clés et raccompagna Martha à la porte. L’enquête continue, songea-t-elle. D’ailleurs, il fallait qu’elle se dépêche, elle avait rendez vous avec Paula à 10h pour un résumé de la situation de Bruce et Rita. Hier soir, elle avait reçu un bref message de la sirène “Bruce n’est pas tout blanc, pas prémédité, il faudra protéger Rita.”. Susan avait eu un frisson en recevant le message, mais elle avait à peine eu le temps de le lire que John l’avait dévoré de baisers et elle en avait même oublié le contenu jusque ce matin. 

Elle sauta sous la douche, mit  une jolie robe, elle avait le cœur à se faire belle ce matin, et enfila une paire de sandales pour se rendre chez Paula. 

Bruce 

Bruce regardait Rita dormir les yeux à poings fermés, elle semblait si paisible ce matin. C’était la première fois en plusieurs dizaines d’années de mariage que Rita ne se levait pas avant lui pour lui préparer le petit déjeuner. Il n’en éprouva pas de colère ou de réprobation, c’était une circonstance exceptionnelle. 

Hier soir, quand il était rentré, il avait trouvé Rita à moitié nue dansant sur le canapé. Sur la table de la cuisine, il avait trouvé cinquante muffins, des pancakes et plusieurs dizaines de brownies, mais surtout deux sachets ouverts de ses petites pilules maison. Il eut instantanément un haut le cœur, Rita avait forcément pris plusieurs des pilules pour être dans un état pareil. Il avait voulu la questionner, mais elle avait sauté du canapé, l’attrapant par le polo, le collant à elle, elle lui avait susurré des paroles d’amour, puis des paroles plus coquines. Il ne l’avait pas vue comme ça depuis plus de vingt ans. 

C’était comme retrouver la Rita des débuts, sauvage, délurée, chaleureuse et si généreuse. Elle l’avait alors embrassé à pleine bouche et  l’avait tiré vers la chambre. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas fait l’amour ? Il ne se rappelait plus, mais ça datait de plusieurs années déjà. Hum peut être après cette histoire avec Paula. Oui c’était ça, après son escapade chez la nymphe, Rita lui avait montré de nouveau de l’attention sensuellement, quelques mois, puis le quotidien et son mauvais caractère, à lui, avaient mis fin à leur lune de miel… 

Mais hier soir, ça avait dépassé toutes ses attentes, elle était comme une jeune femme, elle avait laissé la lumière allumée, n’avait pas caché son corps sous les couvertures, et n’avait pas eu peur de grimper sur lui. Oui,hier soir, il avait retrouvé la Rita dont il était tombé amoureux, il y a 54 ans. Un sacré bout de femme. 

Après l’amour, elle était repartie à la cuisine, elle avait repris une pilule sans qu’il n’ait eu le temps de l’en dissuader. Après la mort d’Andrews, il avait peur que ces maudites pilules ne puissent tuer quelqu’un. D’accord, il les avait redosées, mais Rita était fragile. Pourtant à la voir jongler entre le rôti de bœuf, les muffins qu’elle recouvrait de glaçage et une danse improvisée, elle lui parut plus forte que jamais. 

Ils avaient fini par danser dans le salon comme deux adolescents, des slows, des rocks de leur époque. La soirée avait été mémorable. Un vrai moment de bonheur. Maintenant, il s’imaginait aisément sur les routes, avec sa RIta auprès de lui. Il ne faudrait pas tarder à partir, Sue commençait à se douter de quelque chose, et il ne voulait pas finir sa vie seul dans une cellule de prison. 

Il caressa les cheveux de Rita, lui fit un bisou sur le front et quitta la chambre sur la pointe de pieds. Arrivé dans la cuisine, il avait cherché les capsules de café partout, il avait grogné en voyant la machine à expresso à l’ancienne et avait décidé que le café de ce matin serait superflu. Il avait trouvé les toasts de pain de mie après plusieurs tentatives d’ouverture de placards, puis les avait placés dans le grille-pain. Ces maudits toasts étaient ressortis carbonisés au bout de cinq minutes, il avait grogné, puis c’était rappelé qu’il restait toute une cargaison de muffins dans le four. Il en avait englouti deux sur place et en avait fourré trois dans ses poches pour les manger en chemin. 

Au volant de sa voiture, Bruce sifflotait, il allait pouvoir finir le van tranquillement aujourd’hui, ils le chargeraient petit à petit, puis feraient leurs adieux à Riverside Garden et partiraient enfin de semaine. Voilà qui était parfait. Il sourit, l’aventure commencerait bientôt. Lui et Rita, tels Bonnie and Clyde, traversant les territoires inexplorés de l’Australie. Il en soupira de bonheur. 

Pris dans ses pensées, il vit au dernier moment Franck se jeter contre la fenêtre de sa voiture. Il eut à peine le temps de ralentir. Le bruit du corps de Franck contre la carrosserie fut sourd. Bruce s’arrêta net et regarda immédiatement dans son rétroviseur. Le jardinier était à terre. Le cœur de Bruce s’accéléra, pourvu qu’il ne soit pas blessé. Il ouvrit la portière à la hâte et se précipita vers le corps du petit homme. 

Pas une goutte de sang à l’horizon, Franck semblait sonné, mais il semblait en état de se relever. Bruce l’empoigna et le fit asseoir à l’arrière de sa voiture. Le jardinier soupira, il avait eu peur. Le vieil homme le rouspéta, ça n’allait pas bien de se jeter sur sa voiture comme ça. Quel était le problème, il ne pouvait donc pas attendre que Bruce soit arrêté pour lui parler. Franck sembla soudain se rappeler de la raison de sa folie. Il pâlit, et commença à bafouiller des paroles sans aucun sens. 

Son vieil ami avait l’habitude des incohérences de Franck, il le prit par les épaules et tenta de le calmer. Il fallait qu’il se calme, tout allait bien se passer. “Il faut partir, partir loin. Je suis désolé.” sanglota Franck. Bruce fronça les sourcils, il se doutait que Franck ne ferait pas le poids face aux doutes de Sue. Il empoigna Franck et le tourna vers lui. “Combien de temps ?”. Franck baissa la tête et dit dans un souffle “Les pilules, elle sait… tout… Maintenant.”. 

Bruce perdit le peu de couleurs qu’il lui restait. Il fallait faire vite. Il claqua la portière sur Franck, qui le regarda étonné à travers la vitre. Il se remit au volant et parcourut les derniers mètres jusqu’au van à toute allure. 

Il allait falloir terminer le van tout de suite. Franck le regarda se garer et sortit de la voiture. Il n’eut pas le choix, Bruce ne semblait pas lui en vouloir. Il était juste dans une angoisse terrible, échapper à la prison, et s’il y avait bien une chose que Franck pouvait comprendre, c’était ça. 

Quand Bruce lui dit de créer le plus de dégâts possibles jusqu’à son départ pour faire diversion, Franck opina du chef. Une fuite d’eau, un petit incendie, Franck avait l’embarras du choix, mais il lui devait bien ça. 

Oui, il fallait gagner du temps pour pouvoir partir en toute sérénité. Enfin sérénité, c’était un bien grand mot, mais disons avec un van en état de marche et assez de provisions pour trois jours de route. Pas de au revoir, pas de dernière touche de décoration, le voyage commencerait dans moins de deux heures. 

Bruce prit Franck dans ses bras et lui tapota le dos. “T’es un bon gars Franck, t’as fait du mieux que t’as pu. Rappelle-toi bien, reste toujours du bon côté. Prend ce dernier sachet et essaie d’en faire bon usage. Tu vas me manquer bonhomme.” finit Bruce dans une dernière accolade, puis il poussa Franck, qui se mit à courir en se retournant pour faire signe à Bruce. 

Celui-là, il n’était pas près de l’oublier. Peut être que Franck avait couru à sa perte, ou peut être que c’était mieux ainsi. Disparaître pour toujours en quelques minutes, il n’avait jamais aimé les adieux. 

Franck 

Le jardinier courait du plus vite qu’il le pouvait. Il passa devant l’atelier ouvert, où les deux apprentis jardiniers sirotaient un café en l’attendant. Désolé, il n’avait pas le temps, il avait un dernier sabotage à faire. L’incendie était trop risqué et l’enverrait directement en prison, si on le découvrait. Les paroles de Sue lui revenaient à l’esprit. Pouvait-elle vraiment l’envoyer en prison ? 

Oui, elle pouvait, évidemment, elle était comme une vilaine sorcière, elle avait beaucoup plus de pouvoir. Mais, mais détruire un jardin, enfin… ça ne semblait pas. Il ne savait plus, il s’arrêta de courir. Où allait-il ? Il voulait rester fidèle à Bruce, mais il avait peur. Oui, il était terrifié. Une solution, il fallait trouver une solution. 

Il s’asseya contre le mur d’une maison, et se gratta la tête. Qu’est-ce qui pouvait attirer l’attention de Sue, sans attirer la police… Hum… Le chat sauvage ! Mais oui ! C’était ça, il allait faire revenir le chat sauvage. Mince, c’est que le chat sauvage n’avait pas été entendu depuis plus d’un mois. Tout en réfléchissant, il commença à faire des cris de chats blessés. “Miaooooouu grrrrr Miaoooouuu grrr pssssttt”. ça ressemblait presque à quelque chose, il recommença. 

Il était habité par le chat sauvage. Oh mais peut-être même que le chat sauvage venait de se réincarner en lui. Une nouvelle énergie le traversait. Je suis le chat, je vais manger des souris. Et il se mit à rire, puis à feuler. Difficilement, il se releva de sa position assise et se mit à marcher sur ses mains et sur ses pieds, un quatre pattes improvisé. Il redoubla ses cris et commença à se dandiner  maladroitement de jardin en jardin. 

Il percuta plusieurs pots de fleurs sur son passage. Il continua ainsi de traverser une bonne dizaine de jardinets, mettant à mal deux fontaines, trois nains de jardins et cinq plantes en pot. Soudain, alors qu’il traversait le jardin de Bruce et Rita, il percuta une échelle. En une seconde, il reprit ses esprits. Oh plus de chat sauvage, fini, il se releva. Ouhlala, il était devenu fou, possédé. Il regarda autour de lui confus, espérant que personne ne l’avait vu.

Ses yeux hagards firent le tour du jardin, rien personne. Seulement cette échelle, il leva les yeux et découvrit Sue perchée tout en haut de l’échelle, qui le fixait avec angoisse. C’était la première fois qu’il percevait de la peur et de la gêne dans son regard. Tiens tiens, que faisait-elle ici. 

Sue perchée, c’était comme un jeu. Il ne pouvait détourner son regard des talons aiguilles suspendus dans le vide. Pourquoi Sue était-elle montée sur une échelle ? Quelle drôle d’idée ! Peut-être que finalement Sue savait où était le chat sauvage. Ohhh, ou Sue était le chat sauvage… Franck secoua la tête, il devenait fou. Il n’aurait peut-être pas dû prendre 4 gélules à la fois. 

Il se mit à rire quand il se rendit compte qu’il voyait la culotte en coton et dentelle bordeaux de Sue. C’était gênant, mais il ne pouvait détourner son regard. Son rire devint de plus en plus fort, Sue le somma de se taire. “Franck, ça suffit maintenant !”, pour lui lancer un regard furibond, elle se retourna. Dans son geste, elle fit tomber un petit objet en plastique. 

Franck, toujours hilare, le ramassa. Il le contempla avec curiosité. Mais, mais… C’était une caméra ! Une caméra cachée ! Ils allaient passer à la télévision ? Oh oui, ce serait génial, alors ! Qu’est-ce que Vicky serait fière ! En plus, il adorait les caméras cachées, ça le mettait toujours de bonne humeur, qu’est-ce que c’était drôle tous ces gens qui se faisaient piéger. 

Oh mais, attends, comment avait-il été piégé ? C’est parce qu’il avait regardé la culotte de Sue ? Oh non, Vicky ne devait pas voir ça. Il commença à tripoter la caméra pour essayer d’effacer la bande. “Franck, ne touchez pas à ça.”. D’un geste brusque, Sue tenta de descendre, son talon se coinça dans un des barreaux, elle bascula en arrière. 

Franck observa la chute vertigineuse de sa patronne. Peut-être que finalement Sue n’était pas une sorcière, se dit-il quand elle s’écrasa sur le sol. Les sorcières savent voler elles. Le jardinier restait là, à regarder la silhouette désarticulée de Sue au milieu de la pelouse. Il avait l’impression de rêver. Le cri plaintif de sa chef finit par traverser ses tympans, et il se rendit compte de la situation. 

“Oh, oh…” bégaya-t-il. Il fallait qu’il appelle une ambulance. Il s’approcha du corps au sol. “Tout.. Tout.. va… Bien ?” demanda-t-il, paralysé. Il n’eut pour seule réponse qu’un râle de douleur. Le regard de Sue était encore plus noir que d’habitude.  Il recula de quelques pas. 

Les animaux blessés sont les plus dangereux. Oui, oui, il s’y connaissait en animaux blessés et il savait. Il valait mieux se tenir à distance. “Une ambulance, par dieu, Franck.” réussit à articuler Sue en grognant. “Ah oui, oui, d’accord” répondit le jardinier confus. 

Évidemment une ambulance, hum, il ne savait pas le numéro… Il réfléchit, non ça ne lui revenait pas. Euh, Vicky savait, il fallait qu’il appelle Vicky et elle lui dirait. Il voulut prendre son téléphone dans sa poche, mais il ne le trouva pas. Il tâta ses autres poches… Rien. Oups.  Oh, ça c’était pas de chance. Il avait dû faire tomber son téléphone dans sa course. 

“Ne bougez pas,” dit-il à Sue avant de disparaître en courant. 

Rita

Rita se réveilla avec un mal de crâne intense. Elle se retourna, pas de trace de Bruce. Ses souvenirs de la veille étaient un peu flous. Elle se rappelait avoir pris plusieurs pilules, quelques verres de whisky. Sa bouche était pâteuse, et elle avait plus soif que jamais. 

Elle roula sur le côté, et se leva péniblement. Il lui fallut plusieurs secondes pour se rendre compte qu’elle était complètement nue. Oh mon dieu, maintenant les souvenirs lui revenaient. Ouh La La, la nuit avait été épique avec son Bruce. Ça avait été intense, et elle avait presque retrouvé cette envie. C’est dingue, elle n’avait pas eu autant de désir pour son moustachu depuis des années. Peut-être même avant la naissance des enfants… C’était si étrange, elle en avait presque envie de nouveau ce matin. 

Mais où était Bruce quand on avait besoin de lui… Elle attrapa le drap, et se roula dedans. Le drap était presque trop petit, tant pis, son mari n’avait pas eu l’air de se plaindre de ses formes hier soir. D’un geste théâtral, elle décida de se débarrasser de l’étoffe. Nue comme un ver, elle se rendit dans la salle de bain. Son reflet semblait lui renvoyer l’image d’une femme dix ans plus jeune. Elle étincelait de ce secret de beauté ancestral… l’amour…

Cette journée s’annonçait merveilleuse. Il fallait qu’elle en parle à Paula et Susan. Paula serait fière, c’est sûr. Ce matin, elle vacillait entre une fatigue intense et un enthousiasme qui atteignait des sommets. Bientôt elle fendrait les routes avec son amant et mari, et la passion semblait être revenue en un soir. Les mensonges, les secrets, elle s’en fichait. Oui, ils laisseraient toutes les aspérités de leur couple de ces dernières années ici. 

Elle avait une folle envie de réinventer son couple, non ce n’était pas trop tard. Au contraire… Aujourd’hui, ils n’avaient plus rien à perdre, plus rien à prouver. Elle respira une grande bouffée d’air frais, elle se sentait heureuse et elle voulait que ça continue. Toujours aussi peu vêtue, elle rejoignit la cuisine. En voyant les toasts carbonisés, elle se mit à rire. Elle ne pouvait s’arrêter. Ah, ça… C’était bien son Bruce, si doué en bricolage mais incapable de faire griller une tranche de pain de mie. 

Elle sourit, ils étaient parfaits l’un pour l’autre, ils se complétaient. C’était la première fois depuis bien longtemps que Bruce n’avait pas eu son café et ses toasts de prêts. Même lors de leur aventure sur les routes, elle se ferait un plaisir de prendre soin de son bonhomme. 

Hum, elle avait faim, elle attrapa quatre muffins dans le four et les dégusta doucement, nue sur une des chaises de la cuisine. D’un coup, elle se sentit incroyablement épuisée. Un café la réveillerait peut-être… à moins que… Sur le plan de travail, les deux sachets de pilules roses n’avaient pas changé de place. Après tout… Hier, ça ne lui avait pas fait de mal. Et puis, ce serait juste aujourd’hui. Oui, après sur la route, elle arrêterait. 

Et puis, il fallait dire au revoir à cette chambre à coucher de manière un peu plus fantasque… Ce matin, elle avait des idées coquines qu’elle refoulait depuis des dizaines d’années. Oui, elle allait montrer à son Bruce que sa Rita n’avait pas disparu et qu’elle était plus en forme que jamais. Elle rit de nouveau. D’un petit saut, elle se jeta sur le sachet et avala cinq des pilules comme elle aurait avalé des Dragibus. 

Après quelques minutes, elle sentit la fatigue se dissiper et une énergie folle l’envahir. C’était si bon, elle se sentait presque invincible. Elle commença à ranger la cuisine, et à tout nettoyer. Puis elle se mit à faire les valises, elle ne s’arrêtait plus, ses gestes étaient rapides et précis. Ils ne prendraient que le nécessaire. 

Alors qu’elle finissait de vider sa commode, elle aperçut devant la maison, les dizaines de figurines qui s’alignaient sur la pelouse. D’un coup, elle comprit le ridicule de la situation, elle comprit l’incompréhension de Bruce, sa déception. Promis, elle allait redevenir une jeune femme dans sa tête. 

Alors qu’elle refaisait le lit, elle aperçut la silhouette de Susan qui semblait planer au-dessus de l’asphalte. Elle n’avait pas vu son amie aussi éblouissante depuis des années. Susan aurait-elle aussi goûter aux plaisirs de l’amour ? 

Elle allait se jeter sur la porte d’entrée, quand dans un dernier sursaut de conscience, elle se rendit compte qu’elle n’avait toujours pas enfiler un seul vêtement. Elle attrapa une robe bleue dans sa valise, et décida de ne mettre aucun sous-vêtements. Bruce n’allait pas en revenir. 

Susan frappait déjà à la porte. Rita courut. Elle ne se rappelait pas avoir couru comme ça depuis sa plus tendre enfance. Oh, elle avait tellement hâte de tout raconter à Susan. Quand elle la vit dans l’embrasure de la porte, elle la prit dans les bras avec chaleur. “Mais qu’est-ce que tu es belle ma Susan ! Toi, tu as un amoureux, c’est sûr ! Oh je veux que tu me racontes tout, tout, tout.”. Le débit de parole de Rita était inhabituel, et ses gestes précipités, elle tira Susan à l’intérieur et la jeta presque sur le canapé. 

Susan fut surprise, mais les deux amies commencèrent une discussion animée. Elles avaient toutes les deux l’impression d’avoir dix-sept ans et de revivre leur premier amour. Les langues se déliaient, les détails étaient partagés, décortiqués. Elles rirent beaucoup, et ne se rendirent pas compte du temps qui passait. 

C’est Bruce qui les interrompit. La porte d’entrée s’ouvrit avec violence, il cria plusieurs fois le nom de Rita, avant de se rendre compte qu’elle était avec Susan dans le canapé.

“Il faut partir, Rita.” cria Bruce. Devant le peu de mouvement de sa femme, il ajouta fermement “Maintenant !”. Rita se leva, se dirigea vers lui, elle le prit dans ses bras, elle l’embrassa. Il était sûrement en train d’exagérer. “Maintenant ! Je t’expliquerais plus tard, on n’a plus le temps. Dis au revoir à Susan, et on y va. Le van est garé devant la maison. Aller aller..”. Il ferma les valises de la chambre et les transporta dans le van. 

Rita avait à peine bougé, et elle regardait le manège de son mari avec stupéfaction. Susan la rejoignit, et lui souhaita d’une petite voix un bon voyage. Elles se prirent dans les bras longuement. Ce n’était pas les adieux qu’elle s’était imaginé. Une larme coula sur la joue de Rita. Elle aurait tellement aimé continuer leur babillage adolescent. 

“Et Paula ? Je voulais dire au revoir à Paula.” demanda Rita en regardant son amie Susan. “Elle est introuvable, j’avais rendez-vous avec elle ce matin, mais elle n’était pas chez elle… Rien d’inquiétant, c’est Paula…”. Rita esquissa un sourire. Elle fit un dernier baiser sur la joue de Susan, et sauta dans le van, dont Bruce faisait déjà vrombir le moteur. 

Au moment où ils quittèrent la maison, Susan entendit un bruit retentissant dans le jardin.

Paula

Quelle heure était-il ? Paula ouvrit les yeux difficilement, ses paupières semblaient être comme collées. Étrange, elle ne s’était donc pas démaquillée hier soir. Elle tenta de porter sa main à son visage, mais… Enfin, quelque chose entravait ses gestes, la lumière l’éblouit, elle cligna plusieurs fois des yeux, pour constater que deux paires de menottes attachaient ses deux mains aux barreaux du lit. 

Hum, ses souvenirs de la veille restaient flous, mais il semblerait que la nuit avait été épique. Attachée à un lit, qui était donc le coquin qui avait de si bonnes idées… Ses iris firent le tour de la pièce, la décoration était affreuse, ce n’était décidément pas chez elle. Mais chez qui ? 

Attendez, mais elle a encore ses vêtements, ça c’est vraiment étrange en revanche. Qui serait assez tordu pour l’attacher sans même la déshabiller avant. C’était bien moins pratique maintenant pour enlever sa blouse. 

Alors que Paula commençait à comprendre que la situation n’était peut être pas des plus favorables, la porte s’ouvrit. Elle vit d’abord le plateau du petit déjeuner. Bon, si son kidnappeur, parce qu’il s’agissait peut être de ça, l’avait attachée là, il semblait être attentif à son bien être. En fixant le plateau, elle reconnut ces mains entre mille, ces belles mains puissantes.                                                                                                                                                                                                     

James Court. C’étaient les mains de James Court. Hum, intéressant. Un souvenir confus lui revint à l’esprit. Elle se souvenait maintenant, l’enquête… La grenouille en métal, et la silhouette de James Court qui attrapait l’objet métallique et ses beaux yeux perçants. Oh oui, elle se rappelait de ses bras dont les veines saillantes l’avaient tout de suite excitée. Sa voix grave l’avait sommée d’entrer, puis les souvenirs devenaient flous. 

Elle leva la tête et découvrit l’expression inquiète sur le visage de son voisin. “ça va ce matin ?” demanda-t-il d’une voix suave. Enfin, elle la trouva suave, et il était si beau. Torride, même. Il s’approcha à pas feutré. Il déposa le plateau sur la table basse et s’approcha du lit. 

Paula planta son regard enflammé dans les yeux de ceux de James. Si c’était elle qui était attachée, elle n’allait pas longtemps être la proie de l’échange. Elle comptait bien le manger tout cru. 

Sans lâcher le bellâtre du regard, elle lui dit d’une voix lascive, “Ne sois pas timide mon mignon, viens donc ici… plus près encore… Merci pour le petit déjeuner… mais tu sais, je préfèrerais que ce soit… toi… “. Elle lui sourit comme une lionne sourirait au zèbre avant de l’engloutir. Mais l’effet ne fut pas celui escompté, James secoua la tête, agacé. Voilà qu’elle recommençait. 

“Vous n’êtes pas là pour ça… Madame… 

  • Paula, je vous en pris… 
  • Vous n’êtes pas là pour… je ne sais quelles raisons. 
  • Alors pourquoi m’avez-vous attachée, petit coquin. “

James Court était complètement décontenancé par l’attitude de la vieille nymphe. Il n’avait jamais eu à faire à une femme aussi entreprenante. Ce n’était plus du rentre dedans, c’était presque du viol verbal. Il reprit son souffle, rester calme. 

“Vous ne vous rappelez donc de rien ? 

  • Alors, c’était mémorable à ce point ? 
  • Rien de rien…
  • Il va falloir me réchauffer la mémoire… “

Paula tentait en gesticulant de défaire son pantalon, avec ses pieds elle tentait d’atteindre l’entrejambe de Mister Court, sans succès. Il faisait son timide d’un coup… 

“La grenouille, vous vous rappelez quand même ? 

  • Ah oui, je me rappelle que vous l’avez attrapée au vol, et que je vous ai suivi… à l’intérieur… “

Tout ce qu’elle disait avait ce ton de film érotique des années 80, elle aurait pu lui montrer le catalogue des pompes funèbres, avec cette voix tout paraissait incroyablement sensuel et sexuel. Il n’allait pas se prendre dans les griffes d’une pareille panthère, mais inconsciemment, cette voix faisait monter un désir en lui. Physiquement, il sentait que son corps était presque déjà convaincu. 

“Arrêtez avec vos sous-entendus Paula, et laissez moi vous raconter.” dit-il d’une voix ferme. Mais Paula ne retint qu’une chose, il se rappelait de son prénom. James Court connaissait désormais son prénom… 

Il décida d’ignorer l’expression d’extase sur le visage de Paula et de continuer son récit. 

“Donc hier, je ne sais pour quelle raison vous avez lancé plusieurs fois cette maudite grenouille en métal contre la porte de derrière. Je l’ai attrapé…

-Vous l’avez admirablement bien rattrapée, vous voulez dire, l’interrompit Paula. “

James se racla la gorge. Il souffla, il sentait que la partie n’était pas prête d’être gagnée. 

“Oui, je l’ai récupéré et je vous ai invitée à entrer. Enfin, je vous ai plutôt poussée à l’intérieur. Vous m’avez suivi plutôt docilement, de façon assez surprenante pour une cambrioleuse… 

  • Je sais être docile, quand il le faut, susurra Paula. James leva les yeux au ciel, ça s’annonçait plus que compliqué. 
  • Nous nous sommes installés au salon, continua James, alors que Paula ne cessait de le regarder avec ses yeux félins, et je n’ai même pas au le temps de vous questionner sur la raison de ce “cambriolage”, que vous vous êtes littéralement jetée sur moi. Ce n’était plus du flirt mais une tentative de viol. Je vous ai repoussé  plusieurs fois… 
  • Mais vous avez succombé, normal, coupa Paula. 
  • Non ! Non ! Non ! Vous étiez impossible. Je voulais simplement vous parler et vous êtes devenue complètement folle. Un gremlins après minuit, incontrôlable. Vous vous êtes littéralement jetée sur moi. Je n’ai pas eu le choix.. 
  • Et vous avez aimé ça ? 
  • Mais bon sang, rien ne s’est passé. Vous êtes impossible vous !! Je n’ai pas eu le choix de vous assommer. Voilà, désolé. 
  • M’assomer ? Vous êtes du genre femme soumise, vous ? Vous savez, je sais m’adapter… Monsieur… 
  • Pffffff… Pour la dernière fois, Paula, je n’ai aucune envie d’avoir de rapport sexuel avec vous. 
  • Vous ratez quelque chose. “, se renfrogna Paula. 

Un frisson la parcourut alors. La situation lui échappait complètement. Elle n’avait plus envie de jouer, cette fois-ci. Les menottes commençaient à lui faire mal, ou peut-être que ça lui faisait mal depuis plus longtemps, mais que l’excitation avait pris le pas sur la douleur.

“Pouvez-vous me détacher ? 

  • Que si vous me promettez de rester tranquille ! 
  • N’exagérez pas… Je ne suis pas non plus un animal sauvage. 
  • Euh… hésita James Court, hier vous vous êtes jetée sur moi, vous m’avez griffé. En vous repoussant, votre tête a percuté la lampe et vous avez perdu connaissance. Je suis désolé. 
  • Oh… d’accord. Mais pourquoi m’attacher ? 
  • Je me sentais hyper coupable. Je vous ai allongé sur le canapé, habillée, en tout bien tout honneur, précisa-t-il devant l’air gourmand de Paula. 
  • Et ?
  • Je vous ai veillé, longtemps. Et je me suis endormi. C’est vous qui m’avez réveillé. Vous étiez à califourchon sur moi, à presque me lécher le visage…
  • Je me reconnais bien là, dit Paula en riant. 
  • Bref, je me suis dit que ce serait peut être le meilleur moyen de vous soutirer des informations. 
  • Me soutirer des informations ? Dit la belle en fronçant les sourcils. 
  • Dans votre sommeil, vous avez balbutié plusieurs mots, “Bruce”, “drogue”, “meurtre”, ça m’a semblé plus qu’intéressant. 
  • Vous aussi, vous menez l’enquête ? 
  • L’enquête sur quoi ? rebondit James instantanément. 
  • Rien. Et pourquoi les menottes alors ? 
  • Je vous ai conduite à la chambre, pensant que j’aurais le dessus et que je pourrais par mon charme vous soutirer des informations. Mais c’était sans compter sur… 
  • Ma fougue, dit Paula d’une voix fière. 
  • Oui, si vous voulez. Votre fougue. J’ai tenté de vous amadouer, de vous faire promettre de me dire toute la vérité, si je vous donnais une superbe nuit d’amour. Mais vous avez voulu la nuit d’amour d’abord.Vous m’avez attaqué, vous me mordiez le cou, vous me  frappiez même quand je refusais. 
  • N’exagérez pas… 
  • J’ai pris peur. J’ai attrapé la lampe et je vous ai frappée à la tête. Puis je vous ai attachée. Avec vous, on ne sait jamais ce qui peut se passer au réveil. “

Paula le regarda avec une intensité nouvelle, il ne savait vraiment pas qui ce qui pouvait se passer au réveil. Un souvenir désagréable lui revint en mémoire, elle le chassa. Elle était désormais plus qu’attentive. 

“ Continuez, dit Paula calmement, James en fut surpris, le ton de Paula avait changé. Il poursuivit. 

  • Je suis vraiment désolé, je n’ai pas l’habitude d’être violent envers les femmes… 
  • Il n’y a qu’un moyen de vous faire pardonner, dit Paula en reprenant une voix sensuelle. De le savoir dangereux, comme ça, elle en oubliait la douleur, les menottes et cette désagréable sensation de déjà vu. 
  • J’ai une femme Paula, répondit James immédiatement. Mais la belle ne se laissa pas démonter. 
  • Et où est-elle ? Je ne la vois pas…
  • Ce n’est pas ma maison.”

Paula en fut surprise mais presque soulagée. Cette décoration était vraiment à vomir, ça la rassurait sur les goûts de ce cher Mister Court. 

“Alors, si ce n’est pas votre maison, que faisons-nous ici.”. Le ton de voix de Paula était un mix entre la curiosité et ce désir pervers qui ne la quittait jamais. 

“Couverture.” Il sortit alors son badge. “Police”. Paula en eut le souffle coupé. Si un instant, le désir brûla le fond de sa culotte, elle reprit le dessus. Pourvu que Rita et Bruce aient eu le temps de s’enfuir. 

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