Franck
Vicky caressa le front de Franck encore endormi, il sursauta. Elle lui susurra de se réveiller. Aujourd’hui, il commençait son nouveau travail. Il ouvrit les yeux péniblement, il aurait peut être dû éviter de boire 7 canettes de Bourbon (Whiskey Coca) hier soir. Il était tellement stressé aussi, il lui avait fallu ça pour s’endormir et ne plus penser à toutes les bourdes qu’il ne devrait pas faire.
Depuis sa sortie de prison, il avait cherché en vain à retrouver une place de jardinier. Après presque un an, il était désespéré quand il avait enfin obtenu un entretien à Riverside Gardens Estate. La boss n’avait pas l’air très commode, mais peu importe, il avait obtenu le job.
Les plantes, et les arbres surtout, ça, c’était sa passion. Qu’est-ce qu’il avait souffert d’être enfermé pendant deux ans. Il n’avait même pas le droit de s’occuper de ses bonsais. Alors trouver enfin un travail de jardinier avait été une merveilleuse surprise.
D’accord, il avait omis quelques petits détails sur sa situation. Vicky l’avait incité, aussi. Il n’avait ni mentionné son séjour sous les verrous, ni son absence de permis de conduire. Et puis, ils ne lui avaient pas demandé aussi. Est-ce qu’un mensonge par omission est un réel mensonge ?
Le stress monta d’un coup, et Franck quitta son lit précipitamment. Il fila à la douche, s’habilla à la hâte. Il paniquait déjà, recherchant fébrilement tout ce qu’il fallait qu’il emmène. Heureusement, Vicky lui tapota le dos et lui indiqua du doigt la glacière, la pochette avec les documents administratifs, et les vêtements qui l’attendaient sur la table de la cuisine. Il soupira de soulagement. Que ferait-il sans elle ?
Il se dépêcha de tout emporter, et après un dernier baiser à Vicky, il démarra sa voiture.
Arrivé sur le parking, il fixa un moment la porte du bureau avant de se décider à sortir du véhicule. Pfff il fallait qu’il souffle, ça allait bien se passer. Oh, mais si, si elle découvrait qu’il n’avait pas son permis ?
Et ses papiers, où étaient ses papiers ? Vicky les avait-elle rempli correctement ? Oui, oui, elle faisait toujours ça bien. Devrait-il vérifier ? Non, il était déjà tard. Ou peut être ? Paralysé par l’angoisse, il n’avait pas vu les minutes défiler. Il était presque en retard. Franck sauta de son Pickup et rejoignit le bureau.
Devant la porte, il hésita un instant. Il toqua. Une voix autoritaire lui cria d’entrer, il ne se fit pas prier.
Sue lui faisait face, son tailleur impeccable, ses escarpins vernis et ses cheveux tirés à quatre épingles lui donnait un air encore plus sévère. Elle le toisa de haut en bas, et le conduisit jusqu’à son bureau. Sans préambule, elle vérifia les documents administratifs. Elle eut une moue dubitative, tout était en ordre. Presque déçue, pas de réprimandes pour aujourd’hui, elle commença à lui faire un état des lieux du poste.
Il serait dirigé par Bill, le jardinier en chef, dans quelques mois à la retraite. S’ils étaient contents de son travail, il pourrait rester et prendre la place de Bill. Sue insista sur les horaires en fixant Franck dans les yeux pour être bien sûre qu’il en saisisse l’importance.
Puis elle enchaîna sur les problématiques du jour. L’élagage des 300 maisons allait bientôt commencer. Ah, et depuis quelques semaines, un chat sauvage menaçait la tranquilité de Riverside Gardens.
Au son du mot « Chat Sauvage », Franck perdit le fil de la conversation. Un chat sauvage, il y avait un chat sauvage et il fallait l’attraper. Il allait faire un piège. Oh oui, un beau piège, et hop il l’attraperait ce chat sauvage. Il était tout excité rien que d’y penser. Le héros du chat sauvage, on l’appellerait !
Bruce
Bruce n’en revenait toujours pas, on lui avait volé son van ! Il contemplait désespéré le terrain vide, aucune trace de son van. Disparu !
Ça n’allait pas se passer ainsi ! Il avait déjà contacté le bureau, ils s’occupaient de contacter la police et de résoudre l’affaire. Un inconnu était entré, en pleine journée en plus ! L’étranger savait déjà où était le van, et il s’était simplement servi, voilà ! Envolé !
Une larme coula sur la joue de Bruce. Il y a avait passé tant d’heures, tant de gouttes de sueur, tant d’ennuis de réparations. C’était son bijou, son échappatoire. Et voilà que le van avait disparu.
Adieu rêve d’espace et de voyage, il allait falloir tout recommencer. Un sourire amer passa sur ses lèvres. Rita en était presque ravie. Elle, qui commençait à se faire une place dans cette maudite résidence, elle était contente de rester.
Un étau resserra sa poitrine. L’ennui serait encore plus pesant sans son van. La perspective de rester quelques années dans ce camping amélioré pour vieux le déprimait d’avance. Il avait tout essayé pour s’acclimater, il avait essayé de s’intéresser au club de boules, mais leurs polos étaient affreux et lui c’était le rugby son sport. Les boules, pffff, et en plus c’était des équipes mixtes, et puis quoi encore ! Puis il avait tenté de rejoindre le club de bricolage, « The Men Shed ». D’ailleurs, il en était un peu le chef, avec son projet de van. Mais désormais, qu’allait-il bricoler ?
On lui avait enlevé sa seule raison de se lever le matin, il soupira et sorti du terrain pour rejoindre sa bicoque. Rita l’attendait pour déjeuner.
Quand il vit le camion de déménagement, il fit un détour, curieux de voir le nouveau résident.
Le camion s’arrêta devant le numéro 296. Trois déménageurs en sortirent et commencèrent à décharger des meubles modernes, laqués et des décorations designs. Il contempla le spectacle, cherchant du regard le propriétaire de ce mobilier hors du commun dans la résidence.
Le bruit d’un moteur qui ronronne le fit se retourner. Une décapotable jaune arriva à toute allure dans la rue. La limitation de vitesse était de 8 kilomètres par heure par ici, et le conducteur n’en avait que faire.
Enfin la conductrice… les yeux de Bruce roulèrent dans leurs orbites en voyant la propriétaire en descendre. Moulée dans un pantalon de cuir, elle ondulait du bassin ostensiblement. Il crut d’abord à une infirmière de passage, ou à la fille d’un des résidents. Mais quand il aperçut son visage, son beau visage marqué par les années, il n’en revint pas. C’était elle, elle la nouvelle résidente.
Ses longs cheveux blancs semblaient se balancer sur ses épaules, si soyeux. Une légère bosse commençait à se former dans son pantalon. La nouvelle venue ne le laissait décidément pas indifférent. Ses courbes, cette manière si féminine de se mouvoir, cette croupe, ce décolleté, cette femme avait une sensualité envoûtante.
Bruce lui sourit, elle l’avait déjà ensorcelé. Elle lui fit un signe de la main et se retourna vers les déménageurs.
Paula
Le camion était presque vide. Elle fit signe aux déménageurs, pour qu’ils la rejoignent à l’intérieur de la maison. Une petite collation et des bières les attendaient. Ils semblèrent heureux de l’attention.
S’ils savaient que rien n’était gratuit avec Paula. Elle ne faisait ça que pour passer un peu plus de temps auprès d’eux. Pour contempler leur beaux corps taillés, voir luire la sueur sur les muscles fatigués et saillants. Humm pour les sentir aussi, sentir cette belle odeur de mâle…
Prétextant d’aller chercher d’autres bières dans le réfrigérateur, elle se faufila entre les deux plus vieux, effleura de ses fesses l’entrejambe du plus grand. Elle se tourna alors vers lui pour s’excuser. Mais si ses lèvres prononçaient des excuses platement, ses pupilles criaient au grand gaillard « Si tu me veux, je suis tienne, là maintenant, dans la cuisine. ».
Mais il ne la suivit pas, elle en fut déçue. Il fallait qu’elle se rende à l’évidence, elle devait revoir ses critères à la baisse, ou plutôt l’âge de ses conquêtes à la hausse. D’ailleurs, c’était pour ça qu’elle emménageait dans cet horrible endroit. Elle le regrettait déjà… Ses murs de plastiques, ses rues où s’entassaient des bungalows améliorés, et tous ces vieux partout, tout le temps. Elle en eut presque un haut le coeur.
Sauf que voilà, rester en ville, c’était courir à la perte de sa vie sexuelle, et ça Paula, elle ne l’accepterait jamais. Plutôt mourir que de ne pas sentir le poids d’un homme sur elle au moins une fois par semaine.
Le sexe avait toujours fait partie de sa vie, et elle ne comptait pas y renoncer ! Malheureusement, plus on vieillit moins il est facile de trouver des proies, des hommes à séduire et à traîner sous les draps. Quand les boîtes de nuit n’avaient plus été de son âge, qu’elle était devenu trop vieille pour les bars, elle avait commencé à installer des applications de rencontre. C’était bien moins excitant, et son pouvoir y était plus limité, mais ça marchait quand même.
Mais ça n’avait pas duré, à plus de 80 ans, les sites de rencontre devenaient rasoir, et peu d’hommes étaient enclins à des aventures avec une grand mère, ou alors… ils étaient d’une laideur monstrueuse, et elle valait mieux que ça. Ou pire, ils ne cherchaient pas une aventure sexuelle, mais une bonne femme qui leur préparerait le dîner et marcherait à leur coté sur la plage. Elle préférait encore se taper un laideron.
Donc, voilà, elle avait entendu parler de ces résidences de personnes de plus de 50 ans. Un beau terrain de chasse en perspective, se disait-elle. Elle avait déjà aperçu quelques friandises sur son passage. D’ailleurs, certains n’étaient pas restés insensibles… Ce grand gaillard de tout à l’heure l’avait littéralement dévoré des yeux. Il était bien bâti, il avait le regard lubrique, hum il avait du potentiel. Demain, elle passerait à l’attaque.
Une main étrangère sur sa hanche la fit sortir de ses pensées… Elle avait encore de belles années devant elle…
Rita
Rita referma la porte derrière Bruce. Elle caressa le montant en plastique de la porte. Ah sa petite maison, elle l’aimait, les souvenirs jonchaient les étagères, les photos de leur petite famille, leurs trois enfants, leurs 6 petits enfants. Des sourires, de la joie qui s’affichaient en petit et en grand. Elle caressa du regard chaque image.
Il lui fallait une petite pause avant de se remettre en cuisine. La culpabilité la rongeait, et elle se servit un verre de Whisky pour tenter de l’apaiser un peu.
Bruce venait de ressortir. Il avait semblé troublé quand il était rentré. Troublé et accablé de tristesse. Elle s’en voulait. Mais elle n’avait pas eu le choix. Il avait fallu vendre le van, c’était ça où continuer à être accablés de dettes, encore et encore. Non, elle n’avait pas eu le choix, vraiment.
Bien sûr, elle savait que le van était tout pour lui. Il ne se serait jamais résolu à le vendre, alors, elle avait orchestré un vol, un faux vol. C’était son fils qui l’avait aidée. Et puis, Sue l’avait couverte. Sue, elle lui devait bien ça. Il avait été facile de tous les convaincre. Le van était déjà sur un bateau à l’heure qu’il est.
Oui, elle l’avait fait pour les sauver de la faillite. Pour ça, mais aussi pour rester. Oui, elle aimait cet endroit, elle aimait y être une personne importante. Elle appréciait de passer du temps avec des femmes de son âge, d’échanger, de jouer aux cartes, de prendre un petit brandy sur le perron avec Susan. Bruce le savait qu’elle aimait cet endroit, mais il voulait quand même partir. Maintenant il ne pourrait plus.
Aller, il fallait qu’elle se remette au fourneau. Cet après midi, elle avait une réunion du comité et si elle voulait en devenir la présidente, il fallait qu’elle les charme. Rien de plus efficace que ses muffins aux trois chocolats et ses scones maison !
Ah tiens, elle allait aussi en préparer une assiette pour la nouvelle voisine. Susan et elle, iraient lui apporter pour lui souhaiter la bienvenue. Qui sait, peut être deviendrait-elle une nouvelle amie ? Et même un nouveau soutien pour la présidence ?
Elle ouvrit le placard, attrapa le paquet de farine et se mit à l’oeuvre.
Susan
Susan marchait d’un pas lent, elle remonta Irwin Drive, puis Avron et tourna à Fitzroy Road. Ses pieds foulaient le bitume mécaniquement, elle avançait sans même sans rendre compte.
La nouvelle martelait son cerveau. Rien ne pourrait chasser les quelques mots que Rick venait de lui prononcer. Elle aurait dû rester auprès de lui, le réconforter, lui dire qu’elle serait là, qu’ils allaient affronter ça ensembles. Mais elle n’en avait pas eu le courage, elle s’était enfuie, avait prétexté devoir accueillir la nouvelle résidente avec Rita et avait déguerpie.
« J’ai un cancer des poumons. Je commence la chimio la semaine prochaine. » Voilà comment son Rick lui avait annoncé, sans préambule, sans « Assieds toi ma chérie », sans « J’ai une mauvaise nouvelle. ». Non, comme ça de but en blanc. C’était bien Rick, ça, il allait à l’essentiel. Même le ton de sa voix avait été neutre, il aurait pu lui dire « J’ai racheté du lait, et fait le plein de la voiture. », ça aurait été pareil.
Sauf que ce n’était pas pareil, non. Il allait mourir, elle le savait, elle le sentait. Peut être pas demain, mais ce cancer, ce cancer l’emporterait avant qu’aucune maladie ne l’emporte elle. Elle aurait voulu être la première à mourir. Non, elle se refusait à devenir veuve. Il avait intérêt à se battre contre ce cancer ! Lui qui était si bagarreur dans sa jeunesse, elle espérait qu’il allait sortir les poings et ne pas se laisser faire.
Elle arrivait devant la maison de Rita. Elle remarqua les trois nouveaux Suricates en céramiques qui trônaient à gauche de l’escalier. Rita avait encore fait des folies ! Elle n’eut pas le temps de venir frapper, Rita sortait déjà une grande assiette de muffins et de scones dans les bras. Après lui avoir reproché son retard, elle lui indiqua du menton la maison de la nouvelle résidente.
C’était une des maisons les plus spacieuses, elle était curieuse d’en voir l’intérieur. Elle tenta de se concentrer sur l’excitation de la nouveauté pour chasser de son esprit les 6 lettres qui tournaient dans son crâne, C-A-N-C-E-R.
Après quelques pas, elles arrivèrent devant la maison. Susan colla un sourire factice sur son visage. Elles attendirent quelques secondes, et réitérèrent avec un coup de sonnette et des coups brefs sur la porte.
Enfin, elles entendirent des pas résonner. La porte s’ouvrit. Elles en furent stupéfaites. La femme qui leur faisait face était grande, ses longs cheveux blancs étaient ébouriffés, et tombaient nonchalamment sur son peignoir en soie noir. Si elle n’avait pas eu un visage ridé et des mains froissées, on aurait cru voir la première scène d’un mauvais film érotique des années 80.
Susan chercha le regard de Rita, quand elle le trouva, elle réprima un rire. Mais qui était cette nouvelle résidente. Il n’y avait pas de doute, elle venait de passer un bon moment…
Son regard foncé les toisaient avec un mélange de bienveillance et de jugement. Rita prit la parole la première, elles étaient venues l’accueillir. Et elles avaient apporté des douceurs. Mais elles pouvaient repasser.
Paula leur sourit, et les pria d’entrer, elle avait fini de toute façon. Euh, elle avait fini quoi, se demanda Susan ? Parlait-elle aussi ouvertement de ce à quoi elle pensait ?
Le salon avait été complètement rénové, les murs avaient été repeints en blanc et le parquet avait remplacé la moquette. Susan était subjuguée, le bungalow était méconnaissable. À voir la mine que Rita faisait, elle en était tout aussi impressionnée.
Paula les pria de s’asseoir, elle revenait dans un instant, histoire de passer quelque chose de plus convenable. Rita et elle, commentèrent la décoration, le mobilier moderne, l’absence de photo, la froideur et la beauté du lieu. Un bel homme d’une soixantaine d’années les interrompit, il passa rapidement de la chambre à l’entrée, en finissant de reboutonner sa chemise. Il leur sourit gêné, et sortit.
Au même moment, Paula cria de la chambre « Au revoir, Brad, à très vite j’espère. ».
Susan rit. Décidément, elle sentait qu’avec Paula, elles n’allaient pas s’ennuyer…
Sue
Franck avait rejoint Bill au Workshop, Sue leur jeta un dernier regard dans le rétroviseur. Ils étaient encore en train de discuter, ils avaient intérêt à se mettre au travail rapidement. Oui, elle enverrait Martha roder autour du workshop et à travers la résidence. Martha serait ses yeux, c’était juste pour s’assurer que le nouveau venu ne rendrait pas Bill encore plus paresseux qu’il n’était.
Ce matin, Sue s’était contenue, ce nouveau Franck, la mettait sur les nerfs. Ses yeux perdus, sa tenue négligée et ses tics multiples le rendaient insupportable. Elle avait eu une folle envie de le secouer.
Mais bon, avec un budget aussi serré pour les recrutements, il ne fallait pas s’étonner d’avoir de tels phénomènes. Bon, tant qu’il coupait les buissons en temps et en heure et sans trop de dégâts, ça passerait.
Le nouveau propriétaire arrivait aujourd’hui, il fallait vite qu’elle rentre au bureau, s’assurer que tout était bien à sa place. L’angoisse grandit en elle, pourvu qu’il ne vienne pas fourrer son nez dans ses affaires. Avec le précédent, il avait été trivial de monter quelques combines sans qu’il s’en aperçoive. L’ancien ne s’occupait de rien, et ne s’intéressait qu’aux ventes et aux profits.
Mais les profits avaient baissé et il avait vendu. Le second, en revanche, il fallait s’en méfier. Il avait déjà revu à la baisse le budget pour le jardinage et avait déjà tendance à s’intéresser d’un peu trop près à la comptabilité.
Arrivée au bureau, elle jeta un coup d’oeil par dessus son épaule, s’engouffra dans son bureau et referma à clés derrière elle. Les rideaux étaient tirés, elle ouvrit le premier tiroir de son bureau, le vida et accéda au double fond. Elle y rangea la pochette bleu, et replaça le tout.
Voilà, c’était en lieu sûr. L’inquiétude ne la quittait pourtant pas. Si Rita avait déjà tout découvert et l’avait fait chanter pour orchestrer le vol du van, qui d’autre aurait pu y avoir accès ? Comment pouvait-elle s’assurer que son secret resterait bien gardé ?
Suite au prochain épisode …