Catégories
Les mystères de Riverside Gardens

Chapitre 8 : Mort sur Riverside Gardens

2 ans et demi plus tôt, Bruce continue son recel de nain de jardins, Paula enchaîne les conquête, Franck fait des siennes…

2 ans et demi plus tôt

Susan

Susan gara la voiture devant la petite maison de taule et de plastique. Elle regarda cette façade qui ressemblait à toutes les autres de la résidence. La déprime l’envahit d’un coup, elle ne voulait pas entrer. Elle n’en avait pas la force, pas sans Rick. 

Pourtant, elle avait aimé cette minuscule maison, elle avait aimé en faire leur cocon. Rick se plaignait souvent de la qualité de ses grands bungalows, mais il s’y plaisait. Ici il s’étaient fait des amis, ils restaient proches de leur famille et ne se faisaient pas de souci pour leur avenir. 

Quand les enfants étaient tous partis, la grande maison de banlieue qu’ils habitaient, était devenue trop vaste, trop silencieuse. Ils y étaient restés un temps bien sûr, mais les murs n’avaient pas gardé les rires, les murs semblaient tristes sans les éclats de voix des repas quotidiens. La télévision, quant à elle, avait repris du service, et ils la laissaient allumée, comme un quatrième enfant qu’on aimerait préserver. 

Quand leur fils avaient fait faillite, ils n’avaient pas tergiversé longtemps. Elle se rappelait de cet instant, où leur aîné était tombé dans leurs bras, sanglotant. Rick et elle avaient échangé un regard, et ce regard avait été la décision. Une semaine après, ils mettaient en vente la grande maison. Il avait suffi d’un mois, ils avaient aidé leur fils et avaient cherché un bien à la hauteur des dollars qu’il leur restait.  Simple et efficace.

Alors, oui passer du luxe d’une grande maison dans un joli quartier de la banlieue de Perth à une maisonnette de camping dans une résidence pour personnes âgées, ça n’avait pas été si facile. Pourtant, ils avaient rapidement pris leurs marques. Susan avait décoré l’endroit avec chaleur. Ils avaient donné leurs meubles aux enfants, aux amis, aux amis des enfants. 

Et plus ils se débarrassaient des signes extérieures de leur vie, des signes extérieurs de bonheur, plus le lien qui les unissait se renforçait. Oui, ils disaient à qui voulait bien l’entendre, cette bicoque avait été un nouveau souffle pour leur couple. Ils avaient chacun leurs activités, chacun leur vie, de nouveaux amis et ils se retrouvaient le soir, heureux de se parler. L’ennui s’était évaporé de leur vie. Un renouveau. 

Mais ça c’était avant, avant le cancer. Le mot tournait dans l’esprit de Susan, encore et encore, il se mélangeait avec le mot mort. Mort du cancer. Voilà ce qui attendait Rick. Une mort, si banale de nos jours, si commune. 

Rick aurait mérité de mourir en sauvant le monde, de mourir en héros, ou au moins une mort avec panache, une mort de guerrier. Il allait mourir tel un légume anonyme dans une sordide chambre d’hôpital. Susan avait l’impression qu’il était déjà mort, d’une certaine manière. 

Une larme coula sur sa joue, puis une autre et encore une autre. Une cascade maintenant arrosait son visage des deux cotés. Elle mit la tête sur le volant et continua à sangloter. Les images de Rick dans la chambre aseptisée, branché au respirateur affluaient dans son esprit. Aujourd’hui, elle n’avait même pas pu lui parler. Il était trop faible, ses yeux la fuyaient. Elle le connaissait, il avait honte. Il était supposé être l’homme fort de la famille, pas un fardeau. Longuement, elle l’avait forcé à la regarder dans les yeux, et elle y avait vu les larmes, des larmes de désespoir, des larmes de renoncement. 

Un nouveau sanglot la secoua. Il allait bientôt abandonner, elle en était convaincue.

Quelqu’un frappa à la vitre. Paula. Elle ne lui avait jamais parlé, cette femme la rendait nerveuse. Pourtant, pour la première fois, elle lisait sur son visage de la compassion, de la vraie. Comme si Paula comprenait, « Tout va bien ? ». La nymphe, dans une robe rose tapageur moulante, passa une main dans le dos de Susan. 

Le contact de cette main dans son dos lui fit du bien. C’est comme si la sirène avait le pouvoir de transmettre une réelle chaleur. Cette main étrangère lui faisait plus de bien que toutes les paroles de ses enfants, que tous les câlins mouillés. Oui cette main lui transmettait une compassion sans pitié, sans espoir, sans tristesse. Cette main était celle de quelqu’un qui savait. 

Comme elle était apparue, Paula disparue, en chuchotant, « Rien ne fait plus mal que l’amour. ». 

Rita

Rita ne pouvait pas s’empêcher de tourner en rond dans la cuisine. Elle avait un plan. Les paroles de ses compères de bridge tournaient encore et encore dans son esprit. Bruce la trompait. Encore. Et cette fois-ci, elle n’avait rien vu venir. Il la trompait par dessus le marché avec Paula ! Cette bimbo dont la date de péremption était dépassée depuis bien longtemps. Vraiment, il avait opté pour une pimbêche pareille ? 

La douche s’arrêta enfin, Bruce n’allait pas tarder à sortir. Comme chaque matin, elle lui avait préparé de bonnes tartines de Vegemite et confiture de framboise. Mais ce matin, elle avait une boule au ventre, elle essayait de paraître naturelle, de faire comme si de rien n’était. Impossible. Alors elle faisait le tour de la cuisine, elle l’attendait. Depuis hier, elle observait chacun de ses mouvements, elle scrutait chacun de ses gestes à la recherche d’un indice. 

Comment avait-elle pu croire que Bruce n’allait plus la tromper ? Elle se disait qu’avec l’âge, il avait sûrement perdu la fougue. Mais non, pas de ménopause pour Bruce, sa libido était toujours au beau fixe, d’après ce qu’on lui avait raconté. Elle prit l’éponge et commença à frotter le plan de travail. 

C’état sa faute aussi, elle en était consciente. Elle sentait que la disparition du van l’avait affecté. Il ne pouvait plus concentrer son énergie sur son bricolage, alors son deuxième cerveau avait repris le dessus. Pourvu qu’il ne découvre pas la vérité, elle savait qu’il pourrait la quitter pour ça. Et si elle pouvait supporter quelques incartades, elle ne pourrait se retrouver seule sans lui. 

La porte de la salle de bain s’ouvrit, et elle se rendit compte que l’éponge qu’elle tenait à la main se délitait sous ses doigts. Elle avait frotté trop fort. Souriante, elle dit bonjour à Bruce d’une voix enjouée. Bruce la fixa le regard vide et s’installa, il bougonna à peine un « Bonjour », et se jeta sur ses tartines. En moins de cinq minutes, il avait tout englouti. 

Sans préambule, sans débarrasser, comme si tout devait être fait par Rita, il quitta la table. Il secoua les miettes de son polo et sans se retourner, il sortit en claquant la porte. Ambiance, ambiance. Bon elle débarrasserait plus tard, il ne fallait pas perdre de temps, il allait falloir le suivre. Elle entendit son utilitaire démarrer. Parfait, il avait pris sa voiture, il se rendait donc au Men Shed, c’était sûr ! Elle appela Susan, pas de réponse, mince. Si Susan n’était pas chez elle, elle ne pouvait pas savoir quand et vers où Bruce allait passer. 

Mince, mince, il fallait qu’elle trouve une solution. Elle fila vers la porte, en laissant le désordre sur la table. Elle dut vraiment prendre sur elle pour ne pas débarrasser. Non, elle n’avait pas le temps. Aller Rita, il est temps de découvrir avec qui ton homme couche. Elle prit les clés de sa voiture et décida d’aller directement vers chez Paula, et si par bonheur l’utilitaire de Bruce n’y était pas, elle parcourrait le camping en quête du véhicule. Elle allait lui faire la tête au carré à cette briseuse de ménage. 

Sa voiture cala deux fois avant de pouvoir enfin démarrer. La maison de Paula n’était qu’à quelques numéros. Elle observa la rue déserte, aucune trace de l’utilitaire de Bruce. Elle en fut soulagée. La menace la plus dangereuse semblait écartée. Ouf. 

Elle resta cependant quelques minutes supplémentaires et attendit. On ne sait jamais. La porte s’ouvrit, elle eut un sursaut. Si Bruce s’était garé ailleurs ? Si Bruce sortait tout juste. Quand elle vit le chapeau de cowboy, elle fut soulagée. John !!! John était lui aussi tombé dans les filets de la nymphe ! Mais quand s’arrêterait-elle ? Au moins, John était célibataire ! Et ce n’était pas Bruce. Pfffiou. Elle était soulagée. 

Maintenant, il restait à savoir où était passé Bruce. Elle redémarra sa voiture, et roula au pas, scrutant chaque coin de rue à la recherche de la fourgonnette de Bruce. Presque découragée, elle aperçu le nez de l’utilitaire garé derrière des arbres près du portail. Que faire maintenant ? Qui habitait là ? Impossible de se remémorer. 

Soudain, elle aperçut la grande silhouette de Bruce se faufiler à travers les buissons, un lourd objet entre les mains. Quand il l’enroula dans une couverture à l’arrière de l’utilitaire, elle put apercevoir une magnifique statue de jardin en forme de canard sauvage. 

Non, il n’avait pas osé, tout de même ? Aurait-il eu le toupet de voler tous les nains de jardins sous son nez ? Aurait-il même eu l’audace de voler son propre koala en céramique ? Bruce, pourquoi ? Elle n’en revenait pas. 

Il fallait qu’elle démarre avant qu’il ne l’aperçoive, vite, vite. Cette fois-ci, elle ne cala pas, la voiture se lança à toute allure sur la petite route. Il fallait qu’elle rentre vite, et qu’elle fouille. Où les mettait-il tous ces nains de jardin ? Avait-elle épousé un voleur ? Elle hésitait entre le sentiment de trahison et de dégoût, et la flamme de l’interdit. Bizarrement cette découverte rendait Bruce encore plus sexy à ses yeux… 

Manquant de taper la voiture au montant du porche, elle gara sa voiture de travers et peina à en sortir. Elle n’avait plus vingt ans et se faufiler entre le mur et sa voiture n’était vraiment pas facile à son âge. Ses mains tremblaient, et la clé ne voulait décidément pas tourner dans la serrure. Aller, bon sang, dépêche toi ! Le cliquetis du verrou se  fit enfin entendre, elle souffla soulagée. 

Se précipitant dans la maison, elle faillit trébucher et se vautrer sur le lino. Elle n’avait pas le temps de s’appesantir sur sa maladresse. Elle se dirigea vers la chambre d’amis, que Bruce habitait depuis quelques temps. L’odeur de son homme embaumait la pièce, ce n’était pas désagréable pour elle de sentir de nouveau cette odeur de sueur et de pieds. Parce que c’était celle de Bruce. 

Elle parcourut la chambre des yeux. Où mettait-il les nains de jardin ? Elle voulait des preuves, elle commença à soulever les tas d’affaires sales, elle ouvrit la commode, le placard. Puis se dirigea vers la table de chevet, elle en ouvrit le premier tiroir et poussa un petit cri, une culotte en dentelle rouge était pliée religieusement au milieu. 

Une culotte en dentelle rouge… Qui aimait tant le rouge ? 

Bruce

Ah, il venait d’embarquer son dernier nain de jardin, enfin pas un nain, un canard. Un horrible canard, qui valait plus de 400 dollars ! Les fous, tous les gens de cette maudite résidence étaient fous, ils dépensaient des fortunes et des fortunes pour ces horreurs. Stupides, mais ils l’avaient bien aidé ! Quand il aurait enfin vendu le canard, à lui son van ! 

Il allait, de ce pas, faire les photos dans son abri jardin, avant de le mettre en vente. Et enfin, il pourrait contacter le vendeur du van. Pourvu que le bus soit encore disponible ! Ah, c’était une belle machine, hyper spacieux. Il allait en enlever tous les sièges, créer une carcasse de bois avec de multiples rangements. Oh oui, ça allait l’occuper, il allait avoir du pain sur la planche ! 

Il releva la tête, après avoir déposé consciencieusement le canard enroulé dans une couverture. Un instant, il crut apercevoir la voiture de Rita. L’aurait-elle suivi ? Il ressentit une vague d’affection et d’amour à l’idée de sa petite cuisinière préférée jouant les espionnes. Il n’arrivait pas encore à se résoudre à se séparer de cette vilaine menteuse. Plus le temps passait, plus il comprenait son geste. 

Et il fallait qu’il se l’avoue, il avait aimé jouer aux gangsters et avait ressenti plus d’adrénaline ces dernières semaines que les trois années qui avaient précédées. Finalement, le vol de son van lui avait ouvert la porte des nouveaux plaisirs… Les plaisirs de l’illégalité. Il savait qu’il fallait qu’il arrête avec les figurines de jardin avant de se faire attraper, mais… Mais comment ressentir de nouveau le frisson de l’interdit ? 

Bon déjà, il y avait Paula, et ça c’était déjà quelque chose. La belle l’avait ensorcelé. Elle lui avait retourné la tête. Qu’est-ce qu’elle était sauvage et sensuelle ! Avec un regard embrasé, elle allumait son entrejambe, action, réaction. Depuis qu’ils avaient commencé leur liaison, il ne pouvait plus s’en passer. 

Malheureusement, la nymphe était plutôt occupée. Elle ne répondait pas à ses messages et ce n’était que quand elle voulait. Parfois il devait attendre une bonne semaine avant de la revoir. Tiens, d’ailleurs, il essaierait bien maintenant. Il se sentait d’une humeur coquine, et il expérimenterait bien une fin de matinée crapuleuse. 

Mais il n’avait pas le droit, pas si elle ne lui demandait pas. Elle avait les rênes, et elle pourrait fuir s’il se montrait trop entreprenant. Rita et Paula étaient les deux opposées, et elles se complétaient parfaitement. Il s’imaginait au volant du van, les deux femmes à son coté. Paula lui embrasserait le cou, pendant que Rita le regarderait amoureusement en lui tendant des sucreries. Oh oui, ce serait le paradis. 

Il délirait, Rita et Paula ne se supporteraient jamais. Et d’ailleurs, si Rita découvrait qu’il la trompait, s’en était fini de lui. Pendant toutes ces années, elle n’y avait vu que du feu. Il en avait eu des maîtresses, mais Rita n’en avait jamais rien su. Et c’était tant mieux, il les avait toutes aimées d’une certaine manière, mais c’était un amour éphémère, superficiel, quand son amour pour Rita était d’une profondeur abyssale. 

Il gara son utilitaire devant la maison. Jetant un coup d’oeil par dessus son épaule, il vérifia que personne ne l’observait, alors seulement, il souleva son paquet illicite et se dirigea vers son abri de jardin. Il scruta les fenêtres de sa maison, et vit Rita qui rangeait le petit déjeuner. Étrange, elle avait déjà eu plus d’une trentaine de minutes pour le faire. Peut être n’avait-il pas rêvé et Rita l’avait-elle bien suivi ? Aurait-elle découvert son secret ? 

Pour les nains de jardin, elle pardonnerait. Pour Paula, en revanche… Pourvu qu’elle n’ait pas trouvé la culotte en dentelle. Il fallait.. Oui il fallait qu’il en s’en assure. Il lâcha le canard emballé qui tomba au sol dans un bruit sourd. Il n’avait pas l’air de s’être brisé. Peu importait, il fallait qu’il se débarrasse de cette culotte avant qu’elle ne brise son mariage. 

Il courut vers l’entrée. La voiture de Rita était garée en travers et il put péniblement accéder à la porte. Il l’ouvrit en grand fracas. Toute la pièce trembla, Rita se retourna, mi surprise et mi courroucée. La porte de la chambre d’amis était ouverte, mon dieu. Il courut, se jeta sur la table de chevet. Rien. Vide. 

« C’est ça que tu cherches ? » fit une voix derrière lui. 

Franck 

Franck observa le buisson une dernière fois, il était presque parfait. Encore juste une toute petite coupe avec le taille haie sur le dessus. L’appareil vrombit, il semblait plus lourd que d’habitude. Les bras de Franck se firent faibles d’un coup, et le coupe haie tailla largement en dessous de ce que Franck prévoyait. Oh mince, mince, mince, le buisson était défiguré. 

Franck éteignit le coupe haie et le jeta sur le sol. Le résultat était terrible. Lui qui mettait tant de coeur à tailler les haies le plus joliment possible, il avait complètement saccagé le pauvre arbuste. Bon, il allait trouver une solution. Oui, il pouvait rattraper ça, un petit coup sur un coté, un autre petit coup sur l’autre et ça devrait pouvoir s’arranger. 

Une goutte de sueur perla sur son front, il sentait que sa bouche s’asséchait et qu’il commençait à perdre son énergie et sa concentration. Il finissait celui-là, il taillait les deux autres du devant de la maison et il ferait une pause. Oui, il méritait une pause. Une petite cigarette l’aiderait à reprendre des forces. Bill faisait tout le temps des pauses, alors pourquoi pas lui ? 

Il ramassa le taille haie, il ferma les yeux, se concentra et les rouvrit. Il tira sur la poignée pour démarrer l’engin. Les vibrations de l’appareil chatouillait la peau nue de ses mains. Il resserra son emprise et plaça la lame sur le coté de la plante. Les feuilles et les branches volèrent. À la fin de l’opération, il ne restait qu’un tronc presque nu et quelques feuilles épargnées par le massacre. Cette fois-ci, pas question pour Franck de regarder son oeuvre. 

Il s’attaqua aux deux autres buissons. Il fallait une cohérence dans ce jardin. Une nouvelle fois, il commit un véritable génocide sur les deux arbustes. Les trois plantes nues et squelettiques lui sautaient désormais aux yeux. Il sentait qu’il venait de faire une bêtise. Pourvu que la méchante Sue ne le voit pas. Il fallait qu’il en parle à Bill, il fallait que Bill règle le problème. 

Les feuilles, il allait replacer les feuilles sur le buisson, voilà et comme ça, ce serait ni vu, ni connu. Oui ça c’était une bonne idée. Il ramassa une grosse poignée de feuilles, et la déversa sur le premier buisson, elles retombèrent sur le sol, dégringolant à travers les quelques branches qui restaient. Ça ne marchait pas. Il nettoya le sol, ramassant toutes les feuilles. Voilà déjà, là c’était mieux, au moins le sol n’était pas plus vert que les plantes qu’il accueillait.

Une cigarette, et ensuite il irait retrouver Bill. Bill était à priori parti pour couper des palmiers pas loin. Franck tâta ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes. Il chercha des yeux un endroit pour se cacher. Derrière les arbres du portail, voilà. C’était parfait. Ses mains tremblaient, et il eut du mal à attraper une des cigarettes de son paquet. Le vent s’était levé et il peina à l’allumer. Décidément, le destin ne voulait pas qu’il la fume ! Enfin, la première bouffée envahit ses poumons. Il sentit que la nicotine commençait à faire son effet. 

Oh oui, il finit la cigarette et se sentit déjà bien plus détendu. Il touchait les feuilles du bout des doigts. Il aimait tellement les plantes, il eut un instant une brève culpabilité pour les trois buissons qu’il n’avait pu épargner. Ça repousserait, ça repoussait toujours. Et c’était pour ça qu’il aimait tant les plantes. L’erreur n’était qu’une simple formalité avec les plantes. 

D’un coup, il entendit un bruit. Une voiture, ou un camion. Il se terra dans le coin, éteignant sa cigarette sur le bout de sa chaussure. Pourvu que ce ne soit pas Sue. Il vit un véhicule approcher. C’était la fourgonnette de l’homme au van volé. Il l’avait vu de nombreuses fois roder autour du terrain vague l’oeil morne. Bill lui avait raconté, le van, l’aménagement, le vol, un homme brisé. Franck pouvait comprendre. Sa deuxième passion c’était les voitures. Il ne pouvait imaginer si on lui volait. Il eut un haut le coeur rien que d’y penser. 

Absorbé dans ses pensées, il ne vit pas Bruce sortir du véhicule et ne vit pas non plus où il se dirigeait. Il fallait qu’il reprenne le travail, mais il attendait, il avait peur d’être surpris. C’est alors, qu’il vit le grand gaillard revenir vers son utilitaire, les bras chargés. Chargés de quoi ? Il n’en croyait pas ses yeux. Bruce venait de subtiliser un canard de jardin. Franck était persuadé depuis le début que c’était un coup du chat sauvage. Mais non. 

Les images de Bruce volant toutes les figurines et dansant autour en riant diaboliquement, heurtèrent l’esprit de Franck. Pour la première fois, il eut peur de ce grand-père à l’air bougon. Et si cet homme était l’incarnation même du mal ? L’utilitaire partit aussi vite qu’il était arrivé. 

Il fallait que Franck trouve Bill et qu’il lui conte ce qu’il venait de voir. Il sortit précipitamment de sa cachette et chercha en vain le talkie walkie. Où était donc ce maudit appareil, il en avait besoin, maintenant. 

Alors que Franck tâtait pour la cinquième fois ses poches, un bruit tonitruant le fit sursauter. Le cri et le silence qui suivit lui glacèrent le sang. 

Paula

Paula mit la capsule dans la machine à café et appuya sur le petit bouton vert. La machine se mit en branle. Elle observa satisfaite le liquide fumant se verser dans sa petite tasse dorée. Un peu de caféine lui ferait du bien. John l’avait tout simplement épuisée. Il était intense ce John, vraiment. Un peu maigrichon, et un peu ridicule avec son chapeau, mais intense. 

En revanche, il n’était pas marié, il allait s’attacher, c’était certain. Elle les connaissait les hommes comme lui, elle avait lu dans son regard, cette solitude, cet douleur de rester seul. Non, elle ne serait pas celle qui comblerait le vide d’une femme partie trop tôt ou d’un divorce douloureux. Ce n’était pas elle qui comblait les vides, c’était les hommes qui recouvrait d’une feuille blanche, le puit qu’était son coeur. 

Tous les corps qui avaient traversé ses draps, toutes les lèvres qui avaient parcourues son corps, tous les regards enflammés qui l’avaient déshabillée n’avaient jamais comblé ce manque de Lui. Son coeur si intense, gonflé d’amour et de vie, s’était retrouvé asséché, vide et si creux. Si l’amour faisait si mal, le sexe était une pommade qui ne durait qu’un temps. Le sexe était pour elle comme de la crème solaire, pour éviter d’aggraver la brûlure qui ne la quittait plus. 

Plus tôt dans la journée, en marchant de la piscine vers chez elle, elle avait croisé cette femme. Susan, son nom, il lui semblait. C’était une femme très mince, gracieuse et d’une beauté naturelle que Paula avait perdu depuis longtemps. Susan pleurait au volant de sa voiture. Paula avait tout de suite reconnu les signes. Elle savait. Susan venait d’expérimenter la pire des peines. Pour la première fois depuis des décennies, Paula avait ressenti de la compassion. De la vraie compassion, non pas de la pitié, du dégoût ou une compassion feinte pour obtenir quelque chose. Non, de la pure compassion. 

Elle ne savait pas pourquoi, elle avait frappé à la vitre et elle avait placé sa main dans le dos de la douce. Comme une évidence. Et elle avait senti que Susan s’était détendue, qu’elle lui avait fait du bien. Une idée folle lui traversa l’esprit. Elle avait envie d’une amie. D’une vraie amie. Pour la première fois, elle ressentait le besoin de se confier, le besoin de rassurer, de rire et de partager, avec une autre femme. Que lui arrivait-il ?

Elle tenta de chasser cette idée. Une amie ? Non, elle n’en avait pas besoin, elle se débrouillait très bien seule. Pas d’état d’âme, pas d’amitié. Pourtant, elle en avait envie. Elle s’ennuyait de ses hommes qui se pavanaient encore et encore, des rires faux qu’elle forçait pour qu’ils se sentent drôles et appréciés. Oui, elle voulait rire, rire d’eux, rire d’elle même, rire du monde. C’était décidé elle allait devenir amie avec Susan. C’était bien la seule ici qu’elle considérait comme une amie potentielle. 

Son téléphone sur la table vibra. Elle attrapa sa tasse, en but une gorgée et consulta son téléphone. Quand elle vit le nom d’Andrews, elle ne put s’empêcher de sourire. Ils étaient censés se voir ce soir, elle avait hâte. Andrews était de loin son préféré. Il faisait l’amour si bien, et elle aimait passer du temps avec lui. C’était une première depuis Lui. Elle n’avait pas eu le courage d’arrêter. Après tout, ils se faisaient du bien, pourquoi se débarrasser d’un si bon amant.

Ses doigts pianotèrent son code, elle ouvrit le message impatiente. Ce n’était pas dans les habitudes d’Andrews d’écrire des textos. Ses yeux lurent chaque mot plusieurs fois. Une minuscule larme apparut au coin de son oeil droit. D’une phalange, elle le chassa. Andrews ne pouvait pas venir ce soir, il était retenu par sa femme. Il était navré. Ils remettraient à plus tard. Paula sentit son coeur se serrer. Son coeur ne devrait pas se serrer, ce n’était qu’une relation charnelle, purement charnelle. Non, non et non. Elle ne revivrait pas la douleur. 

Elle tapa brièvement un « Tant pis, j’étais en forme. », et éteignit son portable. 

Alors que des idées noires envahissaient son esprit déçu, elle entendit un bruit sourd dehors, suivi d’un cri. Des frissons la parcoururent. Sans réfléchir, faisant fi d’un danger éventuel, elle se précipita dehors. Elle vérifia son jardin. Rien, puis elle poursuivit dans les jardins alentours. 

Quand elle aperçut deux pieds étendus sous une énorme branche de palmier, elle sut que quelques chose de grave venait de se passer. 

Sue

Sue fixait le sol nerveuse. Le nouveau directeur se tenait face à elle et parcourait des yeux les comptes des trois dernières années. Par moment, il prenait un surligneur rose et le passait sur certaines lignes. Sue prenait sur elle pour ne pas laisser apparaître son extrême nervosité. Parfois le quinquagénaire relevait la tête, il la fixait, puis il repartait à l’assaut des lignes de comptabilité. 

Elle n’était pas née de la dernière pluie et elle s’attendait à ce qu’il contrôle tout ça un jour. Finalement ça avait été plus tard qu’elle ne le pensait. Elle avait eu largement le temps de falsifier les documents et de les rendre vierges de tout soupçon. En revanche, elle n’était pas toujours sûre de l’exactitude des appellations qu’elle avait utilisées. Si par hasard, elle avait fait une erreur et que le directeur était bel et bien un expert en la matière, il était possible qu’il se rende compte que quelque chose clochait. 

Le maître chanteur avait heureusement fini par disparaître, Andrews lui avait dit qu’il avait mis la main dessus, mais qu’il ne pouvait lui communiquer le nom, sans quelques récompenses. Elle avait refusé. Le bougre avait déjà obtenu pour plus de six cent dollars de matériel d’espionnage. Et il voulait encore lui extorquer de l’argent, c’était hors de question. Tant pis, tant que le maître chanteur n’était plus une menace, elle pourrait vivre tranquille. 

Elle se redressa sur sa chaise et s’assura que son dos était bien droit. Pour la dixième fois, elle lissa sa jupe sous la table. Le directeur la regardait maintenant droit dans les yeux. « Vous semblez nerveuse, Sue. Tout va bien ? ». Elle rit faussement, non, non bien sûr qu’elle n’était pas nerveuse. C’était juste qu’elle prenait du retard dans son travail. Ah, et elle avait un rendez-vous avec un futur client qui voulait acheter la maison la plus chère de la résidence. Sue ne s’arrêtait pas, elle savait comment noyer le poisson. Elle parla de longues minutes, mettant en lumière l’exceptionnel travail que Ron et elle avaient effectué pour vendre cette maison à un tarif au dessus du marché. 

Le directeur ne l’écoutait déjà plus, il murmurait des « Bien, bien. », en sur-lignant quelques lignes supplémentaires. À priori, ça allait être plus compliqué que prévu de mener l’homme au regard sérieux en bateau. 

Le doigt de son nouveau supérieur tapota une ligne. « Je ne comprends pas comment les taxes du salaire de Franck Stick, changent du simple au double d’un mois à l’autre ? ». Les yeux de Sue cherchèrent dans la pièce un indice à cette question. Elle se racla la gorge, il fallait gagner du temps. 

« Pardon ? Je ne vous suis pas ? De quoi, parlez vous ? ». Il lui tendit les feuilles et tapota d’abord sur l’une puis sur l’autre. Les lignes étaient roses fluo et il avait entouré le montant des taxes plusieurs fois. Aïe aïe, c’était mauvais signe. Elle allait mentir une nouvelle fois. Il fallait qu’elle trouve un coupable, un autre coupable. 

Le silence dura quelques minutes, le directeur attendait apparemment une réponse. La sonnerie du portable de Sue interrompit le moment gênant. Elle se jeta dessus, presque soulagée. La voix au bout du fil la crispa. Paula. Elle détestait cette femme. 

Aux mots, que la nymphe prononça au bout du fil, Sue pâlit. Bill était blessé. Il gisait au sol, l’ambulance arrivait. Elle remercia Paula du bout des lèvres et raccrocha. « Tout va bien ? ». Sue répéta, livide, les mots de la sirène. Il fallait qu’elle parte, qu’elle enquête sur ce qu’il s’était passé. Le directeur hocha la tête et l’invita à prendre le buggy. Il n’y avait pas de temps à perdre. 

Sue quitta la pièce précipitamment. Elle se mit au volant du buggy et parcourut les rues à toute vitesse. Alors qu’elle arrivait bientôt sur les lieux, un éclair de génie traversa son esprit. Si Bill était mort, il serait le coupable idéal. 

Suite la semaine prochaine. 

Une réponse sur « Chapitre 8 : Mort sur Riverside Gardens »

Laisser un commentaire