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Le Bonheur ne frappe pas à toutes les portes…

Il est un peu plus de 4h du matin. Je me sens mal, tout tourne, je sens que je vais m’effondrer. Pourquoi est-ce que leurs lèvres bougent, sans que je n’entende rien ?

Dépression, Photo by Ian Espinosa on Unsplash

Il est 4H du matin. Comme tous les jeudis soirs, je reste là, planté devant cette porte. Je m’appelle Georges et je suis videur trois soirs par semaine. Avec mon blouson noir de la sécurité, je donne l’impression  de peser 150 kilos. Je prend l’air méchant pour ceux qui approchent et affiche un sourire niais à tous ces gosses de riches qui sortent de leur soirée, complètement éméchés, titubant et riant aux éclats comme des abrutis. Je ne me rappelle pas avoir été aussi con dans ma jeunesse, et franchement je me retiens de leur mettre du plomb dans la cervelle à coup de gifles et de poings bien placés. Je pourrais leur montrer ce que je vaux, à ces petits vermisseaux, hautains et inutiles, mais je risquerais de perdre mon job, et ça non, je ne peux pas perdre mon job. Et puis en y pensant, je ne suis même pas sûr d’en avoir la force. Je suis fatigué, si fatigué de me battre chaque jour pour ramener à peine de quoi vivre à ma petite famille. Je ne blâme personne, ma femme aussi travaille comme une forcenée, c’est à peine s’il nous arrive de nous croiser dans la journée. Quant à mes petites filles, je les vois en coup de vent, chaque matin avant de repartir pour une longue journée de travail à l’usine, et le soir quand elles sont couchées, je leur lis alors une histoire, et c’est bien le seul moment de la journée où je me sens vivant. Je me dis parfois que j’ai raté ma vocation, j’aurais dû être acteur…. Je joue si souvent la comédie… Tantôt marrant et jovial avec mes collègues, tantôt fort et protecteur avec mes filles, ou encore agressif et prêt à bondir devant cette boîte de nuit. Je me sens vide, je n’ai plus envie de rien, je me demande même parfois pourquoi je fais tout çà ? À quoi bon trimer corps et âmes pour avoir de la carbonara dans ses pâtes, quand on n’apprécie même plus la bonne cuisine ? À quoi bon se battre pour prendre soin d’une femme avec qui on n’a pas fait l’amour depuis des mois, et qu’on ne croise et ne reconnaît même plus ? À quoi bon travailler jour et nuit, pour offrir des jouets et des articles de modes à des enfants qui ne voient jamais leur père ? J’aimerais tellement retourner à cette époque où tout était facile. L’argent venait de nos parents et quand on en manquait, on volait impunément, sans remords et sans suite. Cette époque, où, moi aussi, je sortais tous les soirs comme ses petits bourgeois pleins de vie… D’ailleurs, celui là m’a l’air bien mal en point…

Il est un peu plus de 4h du matin. Je me sens mal, tout tourne, je sens que je vais m’effondrer. Pourquoi est-ce que leurs lèvres bougent, sans que je n’entende rien ? Le videur avance vers nous… Bizarre… Ouh… je vais vomir, c’est sûr… Je ne sens plus mes jambes… Ah ! Je dors, enfin je crois… Je suis bien, mmmm… tellement mieux. J’adore cet instant, quand après une soirée de débauche, au moment où tout commence à aller mal, le bien être revient d’un seul coup. Je me réveillerai sans doute à l’hôpital, j’aurai alors oublié toutes les bonnes résolutions prises dans mon coma et je repartirai pour une vie de débauche. En moyenne, je passe deux nuits à l’hôpital par semaine. Non, je ne suis pas malade, simplement inconscient. Je connais à peu près tous les hôpitaux de la région parisienne et je compte bien étendre mes connaissances à la province. Pourquoi me mettre dans un état pareil ? Je ne sais pas. Comme ça. Pour tester mes limites et donner un peu de piment à mon existence. Né avec une cuillère en argent dans la bouche, je n’ai pourtant aucun avenir. J’ai décroché des études, il y a bien longtemps et les «Jean, j’ai trouvé un job qui pourrait t’intéresser.» ne me font plus le moindre effet. Au début, j’ai essayé, j’allais voir la personne concernée qui m’expliquait poliment toutes les tâches que j’avais à faire. Mais pourquoi travailler quand on peut profiter d’un argent de poche supérieur à bien des salaires ? Au moins , on ne pourra pas me reprocher de profiter des relations de mes parents pour me faire une place. Je rêve parfois d’être pauvre et d’avoir un but dans la vie, un objectif, de devoir travailler pour pouvoir sortir, d’être utile à la société… Mais ce ne sont que des fantasmes. Si la pauvreté permettait d’être heureux, ça se saurait, on ne courrait pas tous derrière le moindre centime. Non, ce qui attire chez le pauvre, c’est qu’il a souvent beaucoup d’amis. C’est logique, on est solidaire dans le malheur. Alors que dans l’opulence… Par exemple, moi, l’alcool et les drogues en tout genre sont mes seuls amis, les sangsues qui prétendent l’être ne sont que des compagnons de solitude. Car oui, nous sommes tous, seuls, presque même égarés à la recherche d’une direction ou en dégringolade totale. Je me considère, moi même, comme peu aimable et  je sais que mes actes auront des conséquences. Sur ma santé notamment, je m’étonne même de ne pas avoir déjà un poumon perforé aux vues de toutes les cigarettes et autres joints que j’ai fumés. Je peux mourir aujourd’hui, peu importe, c’est la vie. En fait, rien ne me retient ici. Pas d’amis attentifs, pas de famille aimante, pas de jolie fiancée. Seul le plaisir me fait tenir, le plaisir de sentir qu’on perd le contrôle, que nos gestes ne nous appartiennent plus tout à fait, le plaisir de draguer toutes ses minettes, toutes plus superficielles les unes que les autres, le plaisir de me réveiller entouré d’infirmières dans un lit d’hôpital…

Il est 4H34 du matin, et l’ambulance qui stationnait devant mon immeuble part en trombe, en enclenchant sa sirène dans un brouhaha intolérable. C’est tout moi ça, être persuadée de faire l’affaire du siècle en louant un appartement dans un immeuble face à un  night club. «Ne vous inquiétez pas, c’est très bien insonorisé, et puis n’ayez pas de soucis, vous pourrez vous balader le soir, c’est une boîte de nuit très select…», tu parles, je suis réveillée une nuit sur deux par une ambulance ou une esclandre dans la rue, et des personnes alcoolisées restent des personnes alcoolisées… Enfin, j’ai peu de chance de me faire agresser, je me balade souvent seule la nuit, et je n’ai plus peur maintenant, j’ai compris qu’il y a quelque chose en moi qui repousse les inconnus. C’est peut être cette expression d’agressivité et de tristesse qui reste figée sur mon visage… Je ne sais pas… Il faut bien qu’il y ait des avantages à ne pas être approchée… Parce que sinon, les désagréments sont nombreux, je suis étudiante depuis maintenant 4 années et je n’ai eu que 5 rapports sexuels, et tous sous l’emprise de l’alcool. A vrai dire, il n’y a que quand je bois, et que je perds le contrôle que je deviens opaque. On me perçoit enfin. Sauf que ce n’est plus tout à fait moi. Je rêvais, il y a 4 ans d’une vie étudiante exaltante avec des soirées entre amis toutes les semaines, d’une vie amoureuse remplie où les garçons tomberaient sous mon charme et me découvriraient peu à peu. J’ai, depuis, perdu mes illusions, mes amis ne sont pas des amis et je suis transparente pour la plupart des gens. Je suis sûre que si je partais définitivement, seules deux ou trois personnes le découvrirait. 

J’ai pensé souvent à me suicider, à en finir. J’ai même une fois avalé 5  Dolipranes de mille grammes, pensant m’effondrer dans le hall de l’université, pour alors être remarquée. J’étais alors en première année de fac de droit et je venais de perdre mes illusions. Une de mes anciennes amies m’avait dit que 6 Dolipranes ingurgités à la suite menaient à une mort certaine. Je n’en ai pris que cinq, va savoir pourquoi. Je devais déjà tenir à la vie, et je voulais juste exister aux yeux des autres. Au final, je n’ai eu qu’un mal de tête affreux… Aujourd’hui je ne compte pas en finir, enfin pas tout de suite. J’ai appris avec le temps qu’être aux yeux des autres la fille, qui s’est suicidée en avalant une surdose de médicaments, est loin d’être une reconnaissance valable. Et puis, je pense aussi à mes parents, eux qui paient chaque centime de mon loyer et m’ont tant offert, je ne peux pas les priver de la fierté d’avoir une fille diplômée de l’école de magistrature. Vous pensez :  elle tient, elle reste en vie pour ses parents. Ce n’est pas complètement vrai, c’est sûr, ils ne me poussent pas à partir, mais ce qui me fait rester, c’est l’envie de finir ce que j’ai commencé. Obtenir mon diplôme, arriver à un métier et après on verra. J’ai abandonné l’idée de me marier d’avoir deux enfants et de vivre dans un 200m2 qui donnerait sur le Champ de Mars. Je sais que c’est un rêve inaccessible et que ça ne me rendrait pas heureuse pour autant. Quand j’y pense, je ne suis heureuse, enfin plutôt pas malheureuse, que lorsque je travaille, mon esprit est concentré et plus rien n’existe d’autre que ces formules juridiques pompantes et incompréhensibles, et mon seul plaisir est celui d’avoir surpassé les difficultés et finis ce que j’avais à finir. Avant c’étaient les films, les séries, la fiction en générale qui me faisaient rêver et me rendaient moins malheureuse. Puis toutes ces histoires aux mille couleurs m’ont ennuyées, et je me suis mise à lire des essais et biographies déprimants, des romans sur l’addiction, le suicide, la dépression, ce qui me rendait plus aigris et mélancolique que jamais. Ca fait donc maintenant deux ans que je ne lis plus que le code pénal, le code civile et les promulgations de lois, les journaux spécialisés en droit et ne regarde que les rediffusions de l’assemblée nationale. Vie déprimante, oui, mais je m’en contente, je me défoule à la boxe chaque mardi pour évacuer ma tristesse et ma rage. Activité que je me paie en gardant des enfants tous les matins de 6h à 8h30, et tous les soirs de 16h à 19h30. J’aime bien ces enfants, ils me font sourire avec leurs désirs enfantins et leur innocence intacte. Car eux aussi auraient de quoi s’inquiéter avec une maman pareille… Elle ne travaille pas, mais préfère dormir plutôt que de les amener à l’école le matin, c’est son mari qui m’a engagé en me prévenant de la situation. Le soir, elle ère dans la maison ou rentre plus tard chargée de paquets qu’elle range soigneusement dans son placard. C’est dans ces moments là que je me dis que je ne vais pas si mal, finalement. Tiens, j’ai peut être un peu de temps pour travailler, avant de m’y rendre…

5H ! La lumière rouge clignotante du réveil me rappelle désespérément qu’une nouvelle journée va commencer. Pff, ça fait deux fois cette semaine que je me réveille à 5h. Ces nouveaux somnifères ne sont pas assez puissants, il faut que j’en parle avec mon médecin. Me rendormir, quelle illusion, impossible je prends des somnifères depuis 5 ans et même avec, il m’arrive de ne pas trouver le sommeil. Et puis Richard va se lever dans une trentaine de minutes, avec sa discrétion habituelle ; puis Sophie, la nounou, va frapper à la porte à 6h et les enfants vont se réveiller et il en sera fini de ma tranquillité et de ce silence apaisant. 

Je ne me rappelle plus avoir été heureuse depuis des années, dix ans, peut être un peu moins. Je suis femme au foyer, enfin disons surtout que je suis complètement entretenue par mon mari. Mes journées se résument à une grasse matinée, qui n’en est plus une, depuis que je ne trouve plus le sommeil, un petit déjeuner copieux préparé par mon mari, dont je ne bois que le jus d’orange, puis un bain moussant d’une heure, que je ne quitte que par ennui. Ensuite je passe des heures dans les boutiques hors de prix de la capitale, à dépenser sans compter l’argent de mon compagnon. Pourtant on pourrait croire que j’ai tout pour être heureuse, de jolis enfants, un mari encore très bien conservé, de l’argent et aucun patron pour me dire ce que je dois faire. L’inconvénient, c’est que tout ça je ne l’ai même pas désiré, je l’ai eu. 

Le mariage est venu naturellement après quelques années à jouer les potiches à la fac, alors que lui réussissait avec brio, puis quand il a reçu son diplôme, j’ai arrêté les frais et j’ai commencé à me faire entretenir, j’étais alors vraiment heureuse de vivre de cette façon là et dépensait déjà des sommes d’argent faramineuses dans des boutiques parisiennes. Il ne disait rien, il était amoureux, me promettait de me faire des dizaines d’enfants et de m’aimer jusqu’à la fin des temps. On faisait l’amour plusieurs fois par jours et tout s’équilibrait. Ma collection de chaussures s’est étoffée, alors que son amour pour moi s’est dissipé, avec les années. Nos placards se sont remplis, mais nos coeurs se sont vidés. J’ai bien cru qu’il allait divorcer, l’amour ne le rendait plus aveugle, et je ne le rendais plus heureux. Puis je suis tombée enceinte, et là il s’est remis à me cajoler, il a redécouvert l’amour. Son bonheur est revenu. Pas le mien. En toute honnêteté, je n’ai jamais voulu avoir des enfants. Je n’aime pas les enfants, pour moi, ils ne sont qu’une contrainte supplémentaire, un prétexte pour acheter un monospace, des figurines mobiles et bruyantes dans un appartement de haut standing. C’est vrai, ils ont tous les inconvénients des hommes, et demande de l’amour constamment. Je ne sais pas donner d’amour, alors à quoi bon ? C’est la mère de mon mari qui s’est occupé des enfants jusqu’à ce qu’ils aillent à l’école, alors elle ne venait plus que les matins et les soirées pour les amener et les chercher à l’école. Ca m’arrangeait bien, je pouvais alors vaquer à mes occupations tranquillement. J’ai eu trois enfants, tous adorables et très intelligents selon les dires de mon mari. Je ne suis pas vraiment de cet avis, mais bon… La seule chose que je dois reconnaître, c’est qu’être enceinte a beaucoup d’avantages, en plus, toutes mes grossesses se sont passées sans douleurs, j’ai choisi la césarienne pour ne pas ressembler à toutes ses femmes haletantes et en sueur qui mettent au monde leurs enfants. Ce sont les trois périodes de ma vie où j’ai été la plus comblée, les vendeuses étaient toutes aux petits soins avec moi et j’étais le centre d’attention de toutes les soirées mondaines. Une fois mis au monde, ce sont eux qu’on admire, qu’on cajole, vous n’êtes plus que les bras qui les portent.

 Ce n’est pas de cette vie là dont je rêvais, je me voyais actrice, sur les marches du Festival de Cannes, j’ai d’ailleurs plus d’une robe qui pourrait convenir… Oui, mais je n’ai aucun talent, aucun moteur dans ma vie, et je dirai même, aucune attache… Je ne veux pas tenter un suicide désastreux qui ferait de mon cadavre, un de ces affreux cadavres blancs et odorants de tous ces mauvais films policiers… Je voudrais m’endormir à jamais, et les somnifères me le permettent en partie, enfin pas cette nouvelle marque, mais bon… Et puis, il y a tant de robes que j’aimerai encore acquérir je ne peux décemment pas quitter ce monde sans les avoir obtenues… 

Bon, je vais quand même essayer de me rendormir. Sur l’épaule de Richard, pourquoi pas ? C’est sur cette épaule que je m’endormais chaque soir, avant notre mariage… Mais où est Richard ? Je me tourne, et personne ! C’est un comble. Que je me rappelle, il m’avait parlé d’une réunion, il était sensé rentrer dans la nuit. Dommage, j’aurai bien fait l’amour finalement, pour passer le temps. Il a dû prendre une chambre, il ne se sentait pas de faire la route si tard, on ne trompe pas une femme comme moi…

Hum, il est 5h30, il est temps que j’aille prendre ma douche. Je soulève le bras de Richard et sors du lit doucement. Il dort comme un bambin, il a l’air heureux et apaisé. Ce n’est pas la première fois que l’on couche ensemble tous les deux. Richard est mon patron, après la réunion et le repas d’hier soir, on est sorti boire quelques verres entre collègues, et un verre en entraînant un autre… on a fini dans cette chambre d’hôtel. Richard est un très bon coup et je n’ai aucun remords à lui faire l’amour de temps en temps. Il est à peine plus haut placé que moi dans la boîte, ce n’est donc pas un souci. Et ça n’altère en rien nos relations de travail. Certes il est marié, mais compte tenu de ce qu’il me raconte de sa femme, je ne suis pas étonnée qu’il aille voir ailleurs de temps en temps. Il m’a même dit, hier soir, qu’avec moi, tout était plus simple, qu’il se sentait vivant à nouveau. Ca ne m’étonne pas vraiment, vu ce que je lui fais…

Je ne vois pas pourquoi, je devrais me sentir coupable de coucher avec des hommes mariés, surtout quand je suis sûre d’obtenir un orgasme à chaque fois ! Et puis s’ils sont mariés, c’est leur problème, pas le mien. Chacun, ses responsabilités. Vous allez me dire, c’est facile de dire ça, pour elle, elle n’est pas mariée. J’aurai voulu l’être en vérité, mais j’ai choisi de privilégier ma carrière, et puis il y a encore à peine cinq ans, je n’avais pas beaucoup de succès auprès des hommes. C’est depuis que ma carrière a décollé, que je voyage 12 mois par an, que je signe des contrats à la pelle, que mon assistant a son assistante, en résumé depuis que j’ai une fonction haut placée, dans une des entreprises les plus performantes du monde, que j’attire dans mes filets autant d’hommes charmants. J’évolue dans un univers encore très masculin, où l’une femme, comme moi, pleine d’assurance et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, fascine. Je n’ai pas le physique d’ Angelina Jolie, mais je  plaît. Si j’avais plu, plus tôt, je serai déjà mariée à l’heure qu’il est. Mais maintenant, il est trop tard. Je ne voulais pas d’une vie comme celle là, je voulais être maman, donner tout l’amour que j’ai à revendre à mes enfants, leur faire des pâtisseries, les divertir… Je ne joue ce rôle qu’avec mes neveux, et mes filleuls quatre à cinq fois dans l’année. Sinon je suis seule. Je vis seule dans de grands appartements meublés et décorés par mes soins. Je n’ai pas un chez moi, mais une vingtaine. J’ai préféré avoir vingt «petits» appartements dans toutes les villes où je me déplace, plutôt que deux ou trois immenses et de dormir à l’hôtel ailleurs. 

Quoique, je dorme à l’hôtel souvent ces temps-ci… Car une fois toutes mes tâches de la journée accomplies, quand je rentre, je perds toute assurance et je ressasse toute mon amertume et ma solitude. Je me prends une coupe et ce n’est que lorsque les bulles commencent à faire leurs effets que je retrouve mon assurance et mon envie toujours plus forte de conquérir le monde, alors enfin je reprends mes dossier et les examine un à un, c’est à ce moment là que je trouve mes plus brillantes idées. Béni soit l’inventeur du Champagne. Mais depuis quelques mois, l’amertume est plus forte et ce n’est plus une coupe mais une bouteille qu’il me faut, pour surpasser ma dépression passagère. C’est pourquoi, je poursuis souvent la soirée avec un amant, le sexe et l’alcool forment un antidépresseur du tonnerre. D’ailleurs, il faut que je me dépêche de prendre ma douche, j’ai un avion à 7h. je dois retrouver Paolo avant ma réunion de 14h, et Dieu sait que c’est un des hommes les plus doux et les plus intenses que je connaisse. il m’amène au septième ciel à coup sûr. Je ne veux rater ça pour rien au monde…

Il est 6h du matin. La radio se déclenche. Maria râle un peu et se redresse dans le lit, elle se frotte la tête, me regarde et me sourit. Je lui souris en retour, mais le coeur n’y est pas. Maria est ma femme. Objectivement, c’est une très belle femme. Ses cheveux noirs lui tombent sur les épaules, ils bouclent un peu au bout, c’est adorable. J’adorais jouer avec, avant. Elle me regarde avec ses yeux noirs et pose un baiser sur mes lèvres. Elle se lève, rejoint la cuisine et je l’entend faire du café. Maria est la femme idéale, elle est aimante, gentille, attentionnée, elle ne râle presque pas. Elle travaille dans une agence de stylisme et combine une vie professionnelle et familiale des plus parfaite. Enfin c’est ce qu’elle pense. Je ne sais pas pourquoi je la trompe, et chaque fois que je croise son regard, je m’en veux de lui mentir et de lui faire ça. Si elle le savait, elle serait furieuse. Car elle n’est pas simplement une caricature de la femme parfaite, elle a tout de même son caractère… Non… je ne vois vraiment pas, pourquoi je mets en péril 20 ans d’un mariage heureux et notre vie de famille… Oui, car j’ai deux merveilleux enfants, mon fils est au lycée et ma fille suit une formation hôtelière. Ils sont tous les deux très brillants, je les aime tellement, tout comme ma femme. 

J’ai commencé à tromper Maria, il y a trois ans. Je n’avais aucune raison de le faire, et je n’en ai toujours aucune, notre vie sexuelle a toujours été très intense. Mais il y a trois ans, j’ai enfin atteint le but que je m’étais fixé : pulvériser la concurrence et devenir leader du marché. Je suis devenu plus que riche, et ma compagnie a gardé son leadership depuis. En fait, je me suis toujours battu pour obtenir ce que je désirais. J’ai suivi des études longues et difficiles, financées par un emploi mal payé et éreintant, j’ai dû faire la cour des mois à Maria pour qu’elle daigne me regarder, j’ai construit cette entreprise, après avoir amassé assez de capitaux, en commençant ma carrière dans des domaines qui ne m’intéressaient pas beaucoup mais qui payaient bien. Puis il a fallu que j’éduque mes enfants en parallèle, que je leur inculque les valeurs qui me tenaient à coeur. Et tout cela, je l’ai réussi. Si vite… trop vite peut être. Car il y a trois ans, quand j’ai atteint ce but et que j’ai regardé ma vie, je me suis senti tout d’un coup vide. Comme déboussolé, j’avais perdu mes repères. Mes enfants se débrouillaient déjà tous seuls, ma femme m’était acquise et je n’avais plus aucun défi à réaliser. 

Ce soir là, j’ai appelé Maria pour lui dire que je fêtais notre réussite, avec mes associés à New York, qu’on fêterait ça en famille le lendemain, puis j’ai dîné seul dans un restaurant, j’ai descendu une bouteille de vin blanc, et déjà je me sentais beaucoup mieux. Je n’abuse jamais de l’alcool d’habitude, mais là ça s’est fait tout seul. Je suis sorti du restaurant, je titubais légèrement. Je me suis rendu dans un bar tout proche, je me suis assis au comptoir et j’ai commandé un Martini. C’est là que j’ai rencontré Solène, elle était assise à ma droite. Elle n’était pas vraiment jolie, mais elle avait un air de défi dans les yeux, une assurance factice grippée sur son visage. C’est cette profondeur que je devinais, cette ombre intérieure qui m’a attiré, j’ai senti qu’avec elle je pourrais retrouver l’aventure et l’exaltation de la réussite que j’avais perdu. Je lui ai offert un verre, et tout s’est enchaîné naturellement. On a pris une chambre dans un petit hôtel voisin, on s’est déshabillé lentement et on a fait l’amour sur la moquette comme deux adolescents qui se cachent de leur parents, à la fois brutalement et tendrement. Ce n’était pas que j’avais pris plus de plaisir qu’avec Maria, mais plutôt que la situation m’exaltait davantage. Que la culpabilité, la crainte d’être aperçu ajoutait un petit quelque chose et me contentait davantage. 

Le souci, c’est que j’ai voulu retrouvé cette sensation assez rapidement après. J’avais le numéro de Solène et nous nous retrouvions de temps en temps en ville. Mais de la voir une fois par mois, ne me suffisait plus, l’exaltation des premières fois s’est transformé en routine. Je me suis cependant attaché à elle, et j’ai bien vu que tout ceci lui faisait se sentir mieux, alors j’ai continué. Je lui ai dit que j’avais une femme et des enfants, ça ne lui a fait ni chaud, ni froid. Elle ne m’a pas demandé d’abandonner ma famille pour elle, elle avait sa vie, j’avais la mienne et on se contentait de passer du bon temps ensemble. Mais comme je l’ai dit, ma soif d’aventure et de challenge n’était plus étanchée, j’ai alors conquis d’autres maîtresses, et chaque mois une s’ajoute aux précédentes, je fais en sorte qu’aucune ne sache rien de ma vie de famille. Maintenant mon challenge, c’est de jongler entre mes maîtresses, ma famille et mon boulot, sans qu’aucune des trois parties ne sache rien. Finalement, il n’y a que Solène qui sache tout de la situation. D’ailleurs, je dois la retrouver à l’aéroport à 9h.

Pour autant, je me sens aujourd’hui encore plus vide qu’il y a trois ans. Je compte pour beaucoup de personnes, et je suis attaché à beaucoup d’entre elles. Mais je ne peux plus supporter la monotonie de ma vie. J’enfile chaque matin, mon costume d’homme heureux et j’en ai assez. Je compte partir aujourd’hui. Leur dire adieu. Et finalement, à mes yeux, je leur rends un service. Surmonter la mort d’un proche est un challenge dont on sort nécessairement vainqueur….

J’entends Maria qui me crie d’aller prendre ma douche, avant de me mettre en retard. Je profite une dernière fois de cette voix haut perchée. Je me suis levé trop rapidement, j’ai un petit vertige. C’est bon, c’est passé. Je me dirige vers le balcon, ouvre la fenêtre. Il fait drôlement froid dehors, la ville est encore endormie. Je scrute les gratte-ciels qui m’entourent. C’est pour ce panorama que j’ai acheté l’appartement. Je me suis toujours senti invincible du haut du 18ème. Aujourd’hui je vais me prouver le contraire. Sur le rebord qui me sépare du vide, je jette un dernier coup d’oeil dans l’appartement, et je saute. 

Ouh !!! C’est comme dans un parc d’attraction ! Mince, j’ai oublié de laisser une lettre ou quelque chose pour expliquer mon geste. Finalement, je l’aimais bien cette vie… Merde, je n’aurais peut être pas dû…

FIN 

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