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Les Contes de Mymy

La Biche et Le Loup

Un cri venu des collines, la sortit soudainement de son sommeil. Elle n’avait jamais entendu un râle pareil. Même les mâles les plus dominants n’arrivaient pas à un tel son au moment des amours. Elle frissonna, elle se sentit vulnérable tout à coup.

Le loup qui rencontre la biche (Photo by Waldemar Brandt on Unsplash)

Quand la biche rencontre le loup…

Lilas, la biche

Il était une fois une drôle de petite biche nommée LiLas. Elle vivait dans un beau petit bois ensoleillé auprès de toute sa famille et ses amis. Alors que toutes les autres biches avaient déjà rencontré le cerf charmant de leur rêve et rêvaient de fonder un jolie petite famille, LiLas, elle, avait soif d’aventures et de destinations lointaines. 

Face à son insouciance et à ses désirs de liberté, ses parents tentaient vainement de lui faire entendre raison. Tout comme ses amies, ils s’escrimaient à lui faire rencontrer les quelques jeunes cerfs encore célibataires des environs. Mais aucun ne semblaient convenir à la jeune biche. Tantôt trop petit, tantôt trop gros, tantôt trop stupide, elle leur trouvait toujours plus de défauts que de qualités. Malgré la persévérance de son entourage, rien n’y fit et LiLas finit par décourager les seules jeunes mâles restant du bosquet. 

Un soir, alors qu’elle rentrait d’une longue promenade de rêverie près de la rivière, LiLas surprit une conversation entre ses deux parents : «Que peut-on faire encore ? Plus aucun des jeunes ne veut la rencontrer !», chuchotait son père. « Je commence à désespérer mon chéri, qu’a-t-on fait pour qu’elle devienne ainsi ? Que va-t-on pouvoir faire d’elle ?». 

À ces mots, LiLas eut le coeur serré. Voilà donc ce que tout le monde pensait ! C’en était trop, elle se sentait prisonnière de cette vie bucolique et vide de sens. Face au désespoir de ses parents et à son envie croissante de découvrir ce qui se trouvait au delà de la rivière, elle décida de partir au petit matin. 

La fuite de la biche

Cette nuit là, LiLas ne ferma pas l’oeil de la nuit, trop excitée à l’idée de voir le monde, elle était impatiente de quitter le carcan de la colonie. 

Aux premières lueurs du jour, elle se glissa hors de la tanière, et s’en alla discrètement. Arrivée rapidement à la rivière, elle eut un dernier instant d’hésitation, était-elle prête à quitter tout ça ?. Elle se retourna une dernière fois, avant de s’engager dans la rivière. 

Le cours d’eau n’était pas très profond, mais l’eau était glacée. LiLas frissonna en continuant à avancer. Ses sabots glissaient sur les pierres et le limon au fond de la rivière, et elle avait peine à avancer. Après plusieurs minutes de labeur, elle finit enfin par atteindre le rivage en face. Grelottante, elle s’ébroua. Jeta un dernier regard vers l’autre rive, et s’avança prudemment dans la forêt. Les arbres y étaient assez semblables à ceux de son bosquet, les oiseaux et les écureuils la regardaient avec curiosité. Que faisait une biche de ce coté du bois ? N’avait-elle pas entendu les rumeurs qui courraient au sujet de du danger présent de l’autre coté du bois ?

Les joies des découvertes

 Sous les regards curieux, LiLas continuait de marcher prudemment entre les souches et les racines. C’était incroyable le nombre de jolies fleurs de ce coté de la forêt ! Elle n’en avait jamais vu autant !! Elle se permit de croquer quelques pissenlits parsi par là, mais n’osa pas goûter aux nombreuses fleurs colorées qui jonchaient les recoins de la forêt. 

Après quelques heures de marche, la forêt s’ouvrit sur une belle clairière d’herbe verte, ponctuée çà et là de petites touches de fleurs rosées. Folle de joie face à ce spectacle extraordinaire, elle se mit à sautiller frénétiquement dans cette grande étendue.  Elle batifolait de champs en champs en toute insouciance, riait aux éclats, broutait quelques brins d’herbes, avant de reprendre sa course effrénée à travers le pré. 

Déjà à quelques kilomètres de la forêt, elle se retourna et vit au loin ce qui avait été sa vie.  Epuisée par sa course et cette journée pleine d’émotions, elle chercha du regard un abri pour passer la nuit. Mais rien, face à elle une dizaine de kilomètres la séparaient encore d’une grande colline boisée. Et tout autour, ne s’étendaient que les herbes folles. Oh, et puis tant pis, après tout, c’était ça aussi l’aventure ! Elle avait toujours rêvé de dormir à la belle étoile ! S’allongeant sur le dos, regarda longuement le soleil se coucher sur la colline. Elle était impatiente de découvrir ce qui se cachait sur cette colline. Mais demain, il était temps de dormir maintenant. Elle ferma les yeux, et s’endormit doucement. 

Un cri venu des collines, la sortit soudainement de son sommeil. Elle n’avait jamais entendu un râle pareil. Même les mâles les plus dominants n’arrivaient pas à un tel son au moment des amours. Elle frissonna, elle se sentit vulnérable tout à coup. Elle regrettait presque d’avoir fui son quotidien. mais poussée par la curiosité, son regard balaya la colline pour voir d’où provenait ce bruit étrange. Le cri avait disparu dans la nuit, seul le ululement des chouettes brisait le silence nocturne. Après plusieurs minutes d’accalmie, rassurée, LiLas se recoucha et se rendormit doucement

Les chants des oiseaux la réveillèrent de bon matin, elle s’étira doucement. Ahhh, elle avait si bien dormi. Elle croqua quelques mauvaises herbes à ses pieds, et reprit son périple. Marchant d’abord, elle fut prise par une envie irrésistible d’en découvrir davantage encore, elle se remit à courir en sautillant. Ses craintes de la veille étaient désormais derrière elle, elle avançait avec un tel entrain !! 

Pendant ce temps, là dans le bosquet, tous étaient à la recherche de la jeune biche. Il était impensable qu’elle se soit aventurée de l’autre coté. Pourtant, après plusieurs heures de recherches, ils durent s’y résigner. LiLas était partie, et avec tous les dangers qu’elle courait de l’autre coté, elle ne reviendrait sans doute jamais. 

La rencontre de la biche et du loup

Arrivée au pieds de la colline, LiLas leva la tête, hésita un instant, prit une grande inspiration et mit la première patte sur le flan du petit mont. Après quelques mètres de prairie, les arbres se faisaient plus denses. Elle marchait prudemment, trébuchant sur une pierre ou une souche de temps à autre. Autour d’elle, la forêt se refermait désormais sur elle. L’air y était frais, la luminosité plus tamisée que dans la clairière invitait au silence et à la rêverie. LiLas avait cependant l’étrange impression d’être observée. Elle jetait un oeil par dessus son flanc de temps en temps, mais elle ne percevait ni bruit ni présence suspecte. 

Perdue dans ses pensées, LiLas ne vit même pas la nuit tomber et dut trouver précipitamment un abri pour la nuit. Elle trouva un grand arbre creux au pieds duquel elle se roula en boule. Alors qu’elle commençait à peine à trouver le sommeil, elle entendit un bruit suspect dans les fourrées. C’est à peine, si elle eut le temps de se lever, que deux yeux jaunes s’avançaient lentement vers elle.

Hypnotisée par le regard chasseur qui éclairait la nuit, elle ne chercha même pas à s’enfuir. La lueur de la lune éclaira son prédateur. Un bel animal au pelage noir, aux oreilles pointus et aux babines retroussées s’avançait vers elle. Elle n’avait jamais vu une telle créature. On lui en avait parlé évidemment, mais elle avait toujours pensé que ce n’était qu’une étrange légende pour faire peur aux enfants. Le loup ! Voilà donc le nom qu’on lui donnait !

Plus l’animal s’approchait, plus il grognait, et plus LiLas voyait les dents acérées se découvrir. Elle aurait dû prendre peur, trembler, tenter de s’en tirer, de trouver une issue. Mais éblouie par la beauté de son chasseur, de son regard envoutant, de la clarté de ses crocs et de son pelage si soyeux, elle en oubliait tout ce qui l’entourait, et ne faisait que reculer doucement. Soudain acculée à l’arbre, elle ouvrit de grands yeux de surprise. Et elle fit une chose que ni le loup ni aucune biche n’aurait soupçonné, elle plongea son regard dans celui du loup et lui sourit. 

Déstabilisé, le loup interrompit un instant son grognement. Ses yeux, ses grands yeux innocents et curieux le regardait avec un désir et une avidité non feinte. Qui était cette biche, si naïve pour s’aventurer dans une forêt désertée par tous ? Que faisait-elle là ? Pourquoi ne tentait-elle pas de fuir ? Tiraillé entre sa faim tenace et la curiosité, le loup redescendit ses babines doucement. 

LiLas interrompit le silence, «Que tu es beau ! Tu es un loup ? C’est bien ça ?». Surpris celui-ci, ne sut que répondre, il se contenta d’un petit hochement de tête. Il aurait voulu lui dire que oui, il était un loup, et qu’il allait d’ailleurs la manger, mais impossible. Il était perdu dans ces grands yeux bruns qui ne cessaient de le fixer. 

«Moi c’est LiLas, je suis une biche… Enfin tu dois le savoir, je suis bête.». Fatigué par ses années de solitude et de chasse, le loup finit par s’asseoir, et répondit doucement : «Chupito». Il continua, «Tu n’as pas peur que je te mange, j’ai très faim, tu sais.» LiLas transperça la nuit d’un rire pur et cristallin, «Quelle drôle d’idée ! Si tu avais voulu le faire, j’aurais déja succombé sous tes crocs, Mr Chupito.» , et elle se remit à rire. 

Le loup touché dans son orgueil se jeta sur la petite biche, ils tombèrent tous deux dans le creux du tronc. Allongée sur le dos, le jeune biche regardait toujours son agresseur dans les yeux, une lueur de défi et de désir pouvait facilement s’y lire. Face à cette réaction inattendue, le loup ne songea même pas à sortir les crocs.

 Spontanément, et sans y réfléchir, LiLas lui balança un coup de langue sur le museau. Chupito se recula surpris, il secoua la tête vivement. Il s’apprêtait à croquer la petite truffe rosée de la demoiselle, quand slurp, un deuxième coup de langue l’interrompit. Et le rire enjoué de LiLas le traversa de nouveau. Abasourdi, il roula sur le coté et après quelques secondes, se mit à rire aussi. LiLas reconnu immédiatement le Whou Whou du cri de la veille. Quel drôle d’animal, quand même ! 

Naissance d’une amitié

Après plusieurs minutes de fou rire commun, les deux animaux s’allongèrent côtes à côtes et se regardèrent dans les yeux longuement. Une complicité était née. 

Dans les jours qui suivirent, le loup fit découvrir la colline à LiLas. Bravant sa propre solitude, il reprenait goût à la vie, et ne pensait presque plus à la dévorer dans son sommeil. Elle représentait la joie et l’insouciance qu’il avait perdu au fil des années qu’il avait passé seul ici. 

Pour elle, il était cette liberté, cette indépendance auxquelles elle aspirait tant. Ils passaient de très bons moments ensembles, riaient, jouaient, chahutaient. Tous les animaux de la forêt, les oiseaux, les rongeurs et les insectes, tous se surprenaient de ce nouveau duo, complètement inattendu. Pourquoi le loup ne la mangeait-elle pas ? Quel lien unissait ces deux animaux qui n’avaient rien à faire ensembles ? 

LiLas se sentait légère, heureuse… amoureuse. Elle savait bien qu’un loup et une biche, ah ça non, ce n’était pas envisageable. Mais face à ses grands yeux jaunes, elle oubliait la raison et se mettait à espérer que le loup finirait par l’adopter et peut être même l’aimer. 

Quand la nuit, Chupito partait chasser, qu’il tuait, elle le savait, des petits mammifères inoffensifs, le coeur de la jeune biche se serrait. Elle se remémorait sa famille, ses amies, et son passé. Au coeur de la nuit, parfois, ils lui manquaient. Mais elle ne pouvait se contraindre à quitter cette nouvelle contrée et son nouvel ami, si beau et si cher à ses yeux. 

Quand le loup rentrait à l’aube le pelage parfois tacheté de perles de sang, il trouvait la jolie proie endormie une larme aux coins des yeux. Lui aussi commençait à s’attacher, si les membres de sa meute l’avait su, il  serait banni à jamais. Il se disait que peut être il ferait mieux de la manger, ses doux cuissots bien tendres devaient être un délice. 

Mais une fois ensembles, quand dans l’après-midi ils se retrouvaient, que dans les champs ils se chahutaient et se blottissaient l’un contre l’autre en regardant les nuages passer, ils oubliaient leurs doutes et croyaient en un après. 

La vraie Nature du loup

Une nuit d’insomnie, quand les questions qui l’habitaient se firent trop fortes, LiLas décida de faire une promenade nocturne et de retrouver Choupito dans la forêt. Elle suivit les traces du loup, elle arriva dans la clairière et l’aperçut au loin. Sans faire de bruit, elle s’approcha doucement. Mais quelle fût sa stupeur quand elle le découvrit. Les yeux injectées de sang, le loup s’avançait vers une maman raton laveur.

 Les yeux suppliants de Maman Raton et ses gémissement n’arrêtèrent pas le loup, qui se jeta à son cou et la tua en trois coup de machoire. LiLas, stupéfaite, poussa un petit cri. Choupito se retourna soudain. 

Ce regard, d’une telle cruauté, d’une intensité déconcertante, laissa la biche sans voix. En voyant sa petite biche effrayée, Choupito arrêta son geste. Mais il était trop tard, la mal était fait. La biche s’éloignait déjà, tête baissée. Hésitant entre lui courir après ou finir son repas, le loup resta quelques instants immobile. La faim finit par l’emporter et il dévora la pauvre Madame Raton. 

Une fois le festin terminé, Choupito se dirigea vers leur petite tanière improvisée en songeant à toute cette histoire. Peut être valait-il mieux qu’il cesse de voir la petite biche. Ils n’avaient rien à faire ensembles. Il finirait par la croquer, c’était sûr. Plongé dans ses pensées, il ne remarqua même pas la famille de lapins qui tentait vainement de fuir face à ce prédateur. Il avait pris sa décision, il ne verrait plus la jeune biche. Il fallait qu’il parte, qu’il la laisse vivre sa vie, qu’il reprenne sa route solitaire. 

Le loup pose un lapin

Mais s’il était cruel de l’abandonner, il était encore plus cruel de l’abandonner sans lui dire au revoir. Il ne pouvait pas affronter son regard une dernière fois, il ne se sentirait pas la force de disparaître sous ses yeux, mais il s’en voudrait de ne pas lui expliquer son départ.    Un couinement le sortit de ses songes, un petit lapin blanc se trouvait maintenant à ses pattes. Il le regarda surpris. Le lapin, la patte coincée dans une racine n’avait pas d’échappatoire, il allait mourir, c’était certain. Choupito eut soudain une idée. 

«Tu ne veux pas mourir, dis moi ?». Le lapin le regarda avec des yeux ronds et balbutia : «Non… Non.. pitié.. je je …». «Très bien, tu vas m’écouter attentivement alors, je vais te sortir de cette racine, tu ne t’enfuiras pas, tu retiendras bien tout ce que je te dis, et je te déposerais gentiment sous une autre racine, près d’une belle biche endormie. À son réveil, tu lui répèteras tout ce que je t’ai dit. Elle te libérera, et tu seras libre. C’est bien compris ?». Le lapin, interloqué, et peu rassuré, hocha la tête timidement. 

Le loup récita son monologue au lapin qui s’efforça de tout retenir, il répéta plusieurs fois. Quand le lapin maîtrisa sa leçon, il le libéra doucement. Il s’approcha doucement de la tanière en intimant au lapin de ne pas faire de bruit. Il déposa le lapin sous une souche, s’assurant qu’il ne souffrirait pas trop en attendant le réveil de la bichette. 

Choupito jeta un oeil dans le creux de l’arbre, LiLas était encore assoupie, on devinait les larmes séchées au creux de ses yeux. En effet, après le spectacle effroyable qu’elle avait vu, elle s’était réfugiée ici, avait pleuré des heures, avant de s’endormir d’épuisement. 

Il la regarda une dernière fois, il eut un petit pincement au coeur. Puis il s’en alla, à pas de loup, il s’éloigna le plus loin possible de cette petite biche, qui avait chamboulé son quotidien. 

Le désespoir de la Biche

À son réveil, LiLas se sentait encore très fatiguée et perturbée par la scène de la veille. Encore immergée dans les images de son Choupito dévorant le petit raton, et malgré tout plus amoureuse que jamais, elle n’aperçut pas tout de suite le petit lapin blanc qui avait finit par s’endormir sous la souche. Elle chercha du regard son grand loup, et vit enfin la boule de fourrure à ses pattes. Elle se racla la gorge, le lapin se réveilla. 

«Que fais-tu là toi ? Attends, je vais te décoincer avant que Choupito n’arrive, sinon il risque de te dévorer.» À ses mots, elle sentit les larmes lui embuer les yeux. 

Le lapin enfin éveillé, se dépêcha de tout lui raconter, et récita avec application les paroles du loup. Choupito avait décidé de partir, leur relation était contre nature, il finirait par la croquer. Elle allait lui manquer, mais c’était mieux comme ça. Il était temps que chacun retrouve sa vie. 

Désesperée par les mots du rongeur, elle se mit à pleurer de plus en plus intensément. Elle libéra le lapinou, et commença à courir vainement dans la forêt. Il fallait qu’elle le rattrape, elle n’arriverait pas à vivre sans lui, elle n’arriverait plus à vivre sans lui. Elle cria son nom à maintes reprises, elle tenta de repérer son odeur dans les bosquets, mais les larmes et la morve l’empêchaient d’y arriver. 

Au loin, Choupito entendait les cris de désespoirs de la belle biche, il se remémorait ses grands yeux enjoués et son rire clair et innocent. Elle s’en remettrait, c’était sûr, il était temps pour lui de retrouver sa meute quelques temps. 

Plusieurs jours, plusieurs semaines passèrent, la biche avançait dans son périple, sans envie, sans plus d’entrain que le désir de fuir, fuir son passé, fuir le souvenir amer de ce loup qui lui avait brisé le coeur. 

Après avoir contourné la colline, traversé d’autres clairière, d’autres champs, elle se retrouva dans un endroit valloné de toutes parts, l’air y était plus chaud, et elle décida de s’installer près d’un petit torrent pour quelques temps. 

Son coeur et son esprit reprenaient un peu plus d’entrain chaque jour, elle retrouvait ses rêves passés de liberté et de voyages sans fin. Bien sûr la nostalgie la reprenait de temps à autre, mais elle balayait les souvenirs d’un coup de patte et tentait d’avancer. 

Barni, le Blaireau

Cela faisait déjà plusieurs jours que la biche s’était installée, alors qu’elle se baignait gaiement dans le torrent, elle vit sur la rive un petit blaireau l’observer. Subjugué par les yeux luisants de la biche, il ne bougea pas d’un poil quand LiLas approcha. 

Ils se mirent à converser. Puis ils chahutèrent ensembles. Un peu de compagnie ne fit pas de mal à la jeune biche. 

Ainsi, chaque jour, le blaireau amoureux retrouvait la demoiselle et ils s’amusaient à deux. D’abord, peu attirée par le rongeur bicolore, LiLas commença à trouver cette relation de plus en plus rassurante et se prit à rêver d’une jolie histoire d’amour avec Barni le blaireau. 

Les jours passèrent et les sentiments de LiLas devinrent de plus en plus importants. Barni lui présenta toute la famille Blaireau, qui trouvèrent très pratique d’adopter une biche dans la famille. Ils l’utilisaient régulièrement pour porter des souches et de la nourriture à travers la montagne. Toute éprise de Barni, LiLas aidait de bon coeur, sans se rendre compte que les blaireaux l’exploitaient, avec de moins en moins de bienveillance.

 Quant aux sentiments de Barni, une fois la biche amoureuse, il avait commencé à s’en détacher, et s’était épris d’une petite lapine, qu’il allait voir de plus en plus souvent. 

Avant de s’endormir, la belle biche pensait souvent à son Choupito, se demandant où il pouvait se trouver, puis elle se persuadait que sa vie auprès de Barni était bien plus équilibrée, et qu’elle était heureuse, finalement. 

Nouvelle déception amoureuse

Un jour, après quatre aller-retours au travers de la forêt, LiLas décida d’aller se promener, de batifoler près du ruisseau et d’aller se baigner. Elle espérait retrouver Barni, pour qu’ils puissent un peu s’amuser. En traversant la clairière, elle tomba sur Barni. Stupéfaite, elle se rendit compte qu’il n’était pas seul, et que visiblement, il passait de bon temps avec Lili la lapine ! Rouge de colère, la biche leur rua dessus, les deux rongeurs détalèrent. 

Interloquée et profondément attristée par ce qu’elle avait vu, LiLas plongea dans le ruisseau. Ses larmes se déversèrent dans le cour d’eau. 

Elle qui rêvait depuis toujours de voyages et d’un amour passionnel, elle se trouvait dans une forêt qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle qu’elle avait quitté, le coeur brisé, une nouvelle fois. Cette dernière épreuve la chamboulait complètement, elle reprit sa route à travers les bois, dans la vallée, suivant le ruisseau. 

Elle ne prit pas la peine de dire au revoir à ses bourreaux les blaireaux, et partit le coeur gros. Toute joie l’avait quitté. Elle marchait le regard vide, trébuchant souvent. Elle avait perdu tout apétit, et ne mangeait que quelques brindilles, quand la faim se faisait trop bruyante. 

Nuit et jour, elle marchait, elle s’arrêtait rarement, et ne s’endormait que d’épuisement après plusieurs jours de marche. Elle se demandait si la vie avait un quelconque intérêt après tout. 

La montagne est dangereuse

Arrivée presque au bout de la chaîne de montagne, alors qu’elle se désaltérait dans un petit ruisseau, elle entendit des grognements derrière elle. Elle se retourna paniquée, elle était prise au piège, les grognements l’encerclaient. Dans la pénombre des bois, sortirent un à un de grands loups noirs et gris. À leur vue, le coeur de la biche se serra, elle pensa à la pauvre Madame Raton, et sentit son cou frémir. S’en était fini, elle le savait. Un instant, elle ferma les yeux un instant. Mais elle les rouvrit en grand, et puisa au fond d’elle le dernier pans de joie qu’il lui restait et fit le plus beau sourire qu’elle put. Elle ne voulait pas mourir un voile de tristesse figé sur son museau. 

Au moment  où elle rouvrit les yeux, elle aperçut un loup noir sortir doucement de la forêt, elle le reconnut instantanément. Ce regard, cette présence, ça ne pouvait qu’être lui. 

Chassant avec sa meute, une biche avait été repérée, il s’apprêtait à donner l’assaut avec les autres loups, quand soudain, il croisa ce regard. Les grands yeux bruns de la biche le regardait avec une intensité qui ne faiblissait pas. Se pourrait-il que ce soit .. ? Il n’y avait pas de doute, ses congénères étaient en passe de dévorer sa belle biche, à lui. 

Ces cuissots auxquels il avait réussi à résister des semaines, seraient bientôt déchiquetés par des centaines de crocs acérés. Ah non, il ne pouvait pas laisser faire ça. Ce n’était pas une simple proie, cette douce biche était son amie, il fallait qu’il intervienne. Ses grands yeux et ce sourire, il était hors de question qu’il les laisse disparaître dans l’estomac de tous ces gros loups puants . Que faire ? Il ne pourrait pas faire le poids face à toute la meute. 

Soudain il eut une idée, la biche avait quelques tâches de myrtilles sur le flanc, ses camarades ayant peu voyagé, l’écouterait c’est sûr. Ni une, ni deux, il courut se mettre entre le chef de meute et la biche. malgré les grognements à son encontre, il s’écria, et déclara avec beaucoup de sérieux que les tâches que la biche avait sur le flanc étaient dû à une maladie mortelle. Quiconque mangerait un infime morceau de l’animal, mourrait dans d’atroces souffrances. Il fallait absolument raccompagner la biche hors de la montagne pour qu’elle évite de ne contaminer les autres animaux. Il se proposa pour cette mission, en effet il était désormais immunisé contre la maladie. 

Tous les loups se reculèrent à ces mots, ils battirent en retraite rapidement et l’exhortèrent à fuir avec la biche le plus vite possible. 

LiLas abasourdie, ne bougea pas d’un poil, elle observait la scène comme hypnotisée par la beauté et la ruse du loup. Celui-ci la pria de le suivre, elle le fit sans broncher. Ainsi, sans un mot, trop choqués encore par ce qu’ils venaient de vivre tous deux, ils parcoururent plusieurs dizaines de kilomètres à travers les vallons. 

L’amitié retrouvée

La nuit commençait à tomber, il en profitèrent pour faire une halte, face à face, ils ne dirent rien, les yeux dans les yeux, ils semblaient se retrouver. Cette nuit là, Chupito ne partit pas chasser et laissa la petite biche se blottir contre lui pour s’endormir. Il était surpris du voile qui désormais recouvrait les doux yeux de la biche. C’est comme si la belle avait perdu l’élan de vie qui la rendait si charmante autrefois. 

Au cours des jours suivants, les langues se délièrent et ils retrouvèrent peu à peu leur complicité d’antan. Si rien ne serait plus jamais comme avant, puisque LiLas avait perdu cette douce innocence, ils n’en restaient pas moins heureux de s’amuser ensembles. 

Une belle amitié commençait à se créer. Elle lui en voudrait toujours un peu de lui avoir poser un lapin, mais elle comprenait. L’un, l’autre se confièrent  leurs sentiments, leurs déceptions. Elle lui raconta son périple, et sa rencontre fortuite avec le blaireau. Il en rit beaucoup, la taquina, «Un blaireau ? Vraiment ?!! hahahaha». Consciente du comique de la situation, elle ficha un coup de patte, et rit à son tour. 

La vengeance

Chupito eut une idée, pour venger sa petite LiLas, il décida de faire un petit détour par la contrée des blaireaux. Il en parla à la biche qui trouva l’idée de vengeance délicieuse. Ils mirent au point un plan diabolique. 

Ainsi arrivés près de l’habitat des blaireaux, Chupito se cacha dans un buisson, LiLas s’approcha. Quand les blaireaux la reconnurent, ils l’entourèrent. Enfin, elle était revenue !! Ils avaient tellement de travail à lui confier. Qu’avait-elle fait ? Où était-elle passée ? LiLas fit semblant de répondre aux questions, les invita à se mettre face à elle, dos au ruisseau pour l’écouter. En retrait, Bari restait à l’écart, encore choqué de l’arrivée de son ex-bien aimée. 

LiLas fit alors signe à Chupito de sortir de sa cachette, le loup se jeta alors sur les blaireaux avec férocité, il ne les dévora pas tous, mes les survivants furent salement amochés. Bari assista impassible à la scène d’horreur. 

Ce fut un véritable festin pour Chupito, et une vengeance délicieuse pour la jeune biche. Le loup se débarbouilla dans le ruisseau, LiLas lui fit une longue léchouille à la sortie de l’eau. Ils repartirent aussi tranquillement qu’ils étaient venus. Le coeur plus léger, LiLas retrouva un sourire franc et une lueur de bonheur au coin des yeux. 

Leur périple continua, les jours se suivaient, doux, intenses. Leur complicité ne faisait plus de doutes, et si les sentiments de LiLas n’étaient plus ceux naïfs qu’elle avait eu autrefois, elle avait une profonde affection pour ce loup, qui l’avait vengée. 

Après quelques semaines de marche, ils arrivèrent à la lisière de la forêt que LiLas avait quitté des mois et des mois auparavant. Il était temps pour eux de se dire au revoir, et à LiLas de retrouver sa famille, et de trouver un cerf pour vivre son amour. 

Il s’enlacèrent longuement, et se promirent de continuer à se voir de temps en temps. Ils se donnèrent rendez-vous au milieu de la clairière à la prochaine pleine lune. 

Au revoir Chupito

Une dernière léchouille et LiLas s’enfonça dans les bois. Chupito la regarda partir un brin nostalgique. Quelle drôle de biche, tout de même !! 

LiLas arriva bientôt à la rivière, elle la traversa avec bien plus d’assurance que la dernière fois. Elle respira l’air si familier de l’air, et elle rejoint rapidement le bosquet. 

Quelle fut la surprise de ses parents quand ils la virent. Ils en pleurèrent de joie. Les retrouvailles avec ses amies et tout le village se firent avec tant d’effusion, qu’elle en fut profondément touchée. 

LiLas devint ainsi une référence dans la communauté des biches, une survivante. Elle fit la classe aux enfants et passait ses soirées à raconter ses merveilleuses aventures. Bon c’est vrai, qu’elle enjolivait un peu, mais il fallait bien les laissait rêver. 

Au cours d’une de ces soirées, elle rencontra un jeune cerf tout juste arrivé. Ils commencèrent à vivre une douce histoire d’amour. Ils s’installèrent et tout le monde fut heureux que LiLas trouve enfin son cerf charmant. 

Cependant, LiLas avait chaque soir une petite pensée pour son grand loup des montagnes. Ils se rejoignaient chaque semaine dans la clairière, ils s’amusaient encore et encore, oubliant qu’il était un loup et elle une biche. Plus jamais, il  ne lui posa de lapin, ils étaient heureux de se retrouver et de jouer sous la lueur bienveillante de la lune.

LiLas vécut donc heureuse entre son doux quotidien aimant auprès des siens et ses aventures nocturnes exaltantes auprès de Chupito, son grand loup. 

Fin

(Autre conte avec un loup)

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